25 Septembre 2017
Historique certainement partiel et partial d’une militante pédagogique qui persiste pour défendre le respect du temps de l’enfant dans sa globalité (temps éducatif, de repos, de vie… dans tous les espaces éducatifs que fréquente un enfant).
Un consensus entretenu : tout devrait tenir en quatre jours de classe
Outre les heures consacrées aux fondamentaux « lecture, écriture et calcul » – on ne dit pas français et mathématiques, car ils sous-entendent une approche complexe et ce n’est pas recherché ! – que reste-t-il pour la connaissance du monde, l’histoire humaine, les sciences, l’art, etc. ?
Pour beaucoup de classes (heureusement pas toutes !), ce sont des horaires cloisonnés, une programmation annuelle qui dénie les cycles (les dernières évaluations en CP et CM2 les méprisent), ce sont 24 heures compartimentées, en disciplines, voire sous disciplines. Plus de temps de recherche, de questionnement, de tâtonnement, de réinvestissement… bref la pédagogie corsetée.
La possibilité du retour à la semaine de quatre jours donné par Jean-Michel Blanquer en mai 2017 a décomplexé beaucoup de territoires et d’écoles qui lors de réunions convoquées en urgence ont gommé sans état d’âme, ce qui existait depuis ces quatre dernières années.
Déjà en 2008, avec la suppression du samedi matin et de ses trois heures d’enseignement, je m’étais exprimée dans un billet « 24 heures chrono ! » où je m’inquiétais (et je n’étais pas la seule…) à la fois du temps concentré sur quatre jours, des horaires cloisonnés, de la fin des cycles.
Nous étions inquiets par rapport au rythme de l’enfant, de la fatigue engrangée dans ces journées trop remplies. Les chronobiologistes nous soutenaient. Il fallait au moins revenir à la semaine de quatre jours et demi, voire réfléchir davantage à la journée, à la semaine et à l’année.
· 2010, l’année des collectifs
L’Appel de Bobigny (vers un grand projet national pour l’enfance et la jeunesse) octobre 2010 (Associations éducatives, éducation populaire, grandes fédérations syndicales, syndicats, FCPE, maires, un très grand collectif !)
En téléchargement : http://www.laligue.org/lappel-de-bobigny/
18 propositions dont pour le sujet qui nous intéresse ici la 7e :
« Pour améliorer les rythmes de vie et de travail des enfants et de jeunes, très rapidement, il faut un cadre national, décliné dans les projets éducatifs d’établissement. Il doit prendre en compte les préconisations de l’Académie de médecine à propos de l’école primaire. Il faut donc alléger la journée et adapter le temps scolaire aux temps favorables aux apprentissages, alterner et équilibrer dans la journée les différentes formes de regroupement, les différentes activités et disciplines, les formes de travail, garantir la pause méridienne, refuser la semaine actuelle de 4 jours et prioriser un rythme annuel alternant 7 semaines scolaires et 2 semaines complètes de vacances intermédiaires, définir un volume annuel d’heures d’enseignement. Ce cadre national doit préconiser l’articulation des temps éducatifs et sociaux, leur mise en cohérence et la coopération éducative de tous. »
Travail collectif de production avec des textes complémentaires aux propositions en 2011
Un consensus réalisé sur ces grands axes :
- 0-6 ans : un enjeu de société
- Les PEdT appelé « Territoires apprenants »
- La formation des professionnels de l’éducation
- La participation active des enfants, des jeunes et de leurs parents aux projets éducatifs
- Enjeux individuels et enjeux collectifs
- Autonomie des établissements scolaires et des acteurs de l’éducation
L’Appel de Bobigny disparaîtra dans le silence, le consensus s’envolera très vite dès la rentrée 2012.
Le CAPE (Collectif des associations partenaires de l’école publique)
Les mouvements d’éducation populaire, mouvements pédagogiques, associations éducatives se réunissent en collectif pour répondre politiquement à toutes ces mesures, c’est le collectif du CAPE qui se met en forme autour d’une Charte (en 2011, ce collectif de mettra en association pour être reconnu plus facilement comme interlocuteur unique face à l’institution)
Un groupe de travail s’est constitué sur les temps éducatifs, plusieurs productions, la première pour la consultation de Luc Chatel, puis pour donner des pistes à Vincent Peillon. Au salon de l’éducation, le groupe a présenté ses travaux au ministre lors d’une table ronde.
À ce jour le CAPE survit et travaille, son objectif étant la vigilance, la critique, la production d’idées, la recherche, la reconnaissance de ses pratiques sur le terrain, nourrir la réflexion, la recherche, l’expérimentation sur l’éducation. Le frottement des divergences, des pratiques différentes nourrit le collectif et chacun de ses membres.
* Résultats de l'enquête : http://consult-rythmes.snuipp.fr/les-resultats.
· 2011- La grande consultation nationale sur les rythmes scolaires
lancée par Luc Chatel
Le rapport est rendu le 4 juillet 2011, un large consensus sur ces dix mesures :
· 2012 – Grande concertation de l’été
Quatre groupes de travail (La réussite scolaire pour tous – Les élèves au cœur de la refondation – Un système éducatif juste et efficace – Des personnels formés, reconnus et valorisés) partagés en ateliers.
800 participants : les présidents de groupe, les ministres du gouvernement, les représentants d’associations (plus de 60 associations), les confédérations et organisations syndicales (lycéennes et étudiantes comprises), les fédérations de parents, des chefs d’établissement et des directeurs d’école, les membres du Haut Conseil de l’éducation, des institutions (comme le CIEP, le CNED, le CESE, l’OCDE…), les associations d’élus, des élus et des personnes qualifiées, des représentants de l’administration centrale, rectorats et académies.
Plus l’organisation et l’association étaient importantes, plus elles avaient de représentants.
Les petites associations n’en avaient qu’un.
J’étais présente pour l’ICEM dans le groupe 2 « Les élèves au cœur de la refondation » dont l’atelier « des rythmes éducatifs adaptés ».
L’animatrice : Colombe Brossel (adjointe Éducation mairie de Paris)
Rappel des préconisations du rapport récent (Ch. Forestier) au MEN de 2011 : passer de 36 à 38 semaines, 9 demi-journées/semaine, 5 h max d’enseignement/jour, pause méridienne 1 h 30 mini y compris dans second degré.
Trois chronobiologistes dans cet atelier : Yvan Touitou, FrançoisTestu et Claire Leconte
Petit ressenti des séances de travail : corporatismes bien présents (caricatures avec les interventions de FO et du SNAC)
Ton de négociation syndicale : temps de travail des enseignants, peur qu’on démolisse les prés carrés.
Garder 24 heures d’enseignement et les 2 heures d’AP, garder le samedi pour… le mercredi pour… bref les intérêts individuels l’emportent sur les intérêts collectifs. Ne parlons pas de l’intérêt de l’enfant, ni de son bien être.
On a l’impression qu’un peu de replâtrage serait suffisant : 4 jours ½, on quitte un peu plus tôt, on propose, des activités culturelles et on ne touche surtout à rien. Car si on commence à tirer le fil des rythmes, on touche à tout le système (fini le sacrosaint : une heure de cours, une classe, un prof…)
Certaines interventions ont heureusement un peu tempéré les interventions syndicales, mais pas toutes… Quels éléments consensuels vont pouvoir trouver les rapporteurs ?
Tous les acteurs ont un rôle à jouer y compris les enfants
Parler de jours éducatifs et non de demi-journées : temps éducatifs hors et dans l’école. Cinq jours éducatifs ?
Cadre national à réaliser le plus tôt possible pour faciliter l’organisation dans les territoires
Les préconisations doivent faire un tout indissociable
Souplesse au niveau des établissements
Ne pas perdre de temps d’enseignement
Des dispositions pérennes
Des temps scolaires différents selon l’âge de l’enfant
Le bien être de l’enfant au centre
Étalement progressif des vacances, rythmes 7/2 semaines
L’heure de classe doit éclater, les pratiques pédagogiques suivront
L’emploi du temps est fait pour les adultes, le repenser autrement.
Les temps et les espaces sont liés
Redonner les 2 heures AP à tous
L’enfant doit passer en premier
Déconstruire pour reconstruire…
Plus de devoirs à la maison, 5 heures TTC de temps scolaire par jour (« Tous Travaux Confondus » FCPE).
Resynchronisation du temps : le weekend c’est comme si les enfants allaient à New York avec le décalage horaire
L’année scolaire en question, les cycles…
Le périmètre éducatif à redéfinir
… et j’en oublie certainement.
La dernière séance devait réfléchir aux conditions de généralisation, cadre national/cadre local…
Colombe Brossel n’a pas tiré les éléments consensuels et non consensuels comme les autres ateliers du groupe 2, je suis partie désappointée, car on n’avait aucune idée de ce qu’elle rapporterait pour établir le rapport de la concertation.
2012- Le rapport issu de la concertation
9 octobre 2012
Environ 400 acteurs de la concertation, des journalistes, des membres du Cabinet… qui au rythme des entrées gouvernementales se lèvent, un peu comme à la messe. Dix-sept ministres sont présents et silencieux, le message présidentiel est ainsi visible : l’École est bien une priorité.
Après une synthèse du rapport par les membres du groupe de pilotage et les présidents du groupe, François Hollande fait un long discours relativement bien applaudi.
Il a repris les constats et les grands thèmes du rapport, on peut dire qu’il le « valide » en quelque sorte, avec ses quelques ambitions : justice sociale, bienveillance, confiance, démocratie…
Même si certaines préconisations du rapport pourraient améliorer l’école, ce n’est vraiment pas le grand soir ! On peut espérer quelques matins qui chantonnent, mais qu’en restera-t-il après les négociations avec les syndicats, les fédérations de parents, les collectivités locales… ?
Certes pour les mouvements pédagogiques, nous espérions encore la possibilité d’une place à prendre (espaces de référence pour d’autres pratiques pédagogiques, place dans la formation, enseignants formateurs, praticiens-chercheurs, outils pédagogiques…).
On ne savait pas encore...
Le décret des rythmes scolaires se construit…
Octobre-novembre 2012
Après la remise du rapport, il est décidé qu’en 2013 la semaine de 4 jours et demi sera remise en place en primaire. Comme dans l’ensemble, les enseignants et les parents apprécient le samedi matin libéré, le nouveau ministre de l’Éducation propose donc de placer cette demi-journée le mercredi matin.
Le 24 octobre, Vincent Peillon annonce : l’enseignant devra effectuer 25 heures devant toute la classe dont 2 heures hors enseignement (suggestion les devoirs !) et les collectivités locales auront à leur charge 2 heures pour des activités culturelles ou d’accompagnement. Les deux heures d’aide personnalisée sont supprimées.
Les enseignants ont donc une heure de moins devant les élèves par rapport à 2007, mais une heure de plus par rapport à 2012. Et coup de tonnerre, les syndicats surfent sur cette heure supplémentaire, les communiqués indignés se succèdent, les enseignants se sentent maltraités… On a même l’impression que la semaine de 4 jours avec les 24 heures devant la classe entière est un acquis qu’il faut défendre. On oublie les rythmes, le temps compressé, les programmes qui ne suivent pas et l’aide personnalisée…
Le 29 octobre, les syndicats sont reçus par le ministre qui revient sur la 25e heure et ramène le temps d’enseignement devant tous les élèves à 24 heures.
Le 30 octobre, les associations partenaires de l'école publique (CAPE) sont reçues : les deux heures d’aide personnalisée deviendraient 1 h 30 de soutien individuel, de travail en petits groupes, mais rien n’est figé et ce temps reste ouvert aux propositions : une grande table ronde est prévue avec les parents, les syndicats, les collectivités locales et les associations partenaires.
Mais ce n’est pas suffisant, en novembre les communiqués fleurissent, c’est la demi-journée du mercredi qui devient inacceptable. La semaine de quatre jours avec la suppression du samedi matin, le remplacement de deux heures devant toute la classe par l’aide personnalisée qui avait pourtant soulevé indignation et résistance en 2008 semblerait satisfaire un certain nombre d’enseignants et quelques-uns de leurs représentants.
En décembre, la grande table ronde n’a pas lieu et à sa place, les négociations se succèdent et grignotent petit à petit les espoirs d’un véritable projet de temps éducatifs dans l’intérêt de l’enfant.
Le 24 janvier 2013,
Le décret relatif à l'organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires est publié, l’expression « organisation du temps scolaire » enterre le projet sur les temps éducatifs de l’enfant, c’est la semaine scolaire qui est au cœur du décret.
À partir de ce moment, la réforme des rythmes scolaires cache tout ce qui peut ou pourrait faire avancer les réflexions sur l’École : les nouveaux programmes, les modalités d’apprentissage, la notation, les évaluations, les expérimentations pédagogiques, la formation des enseignants et de tous les professionnels de l’éducation…
Elle est devenue l’objet politique d’opposition rêvé, car il déplace le clivage droite-gauche et réunit dans le mécontentement des députés, des maires, des parents, des professionnels de l’éducation… Les médias l’ont bien compris et avec eux nous ne risquons pas d’oublier les rythmes scolaires.
Le 8 mai 2014
Après le remaniement du gouvernement, Benoît Hamon tout juste nommé ministre se plonge dans la réforme dès son arrivée au ministère de l’Éducation nationale. Pour répondre aux revendications incessantes, il propose des ajustements, des assouplissements au décret tant décrié.
Le décret complémentaire de Benoît Hamon est publié le 8 mai 2014.
Et le temps de l’enfant ?
Seul l’apprentissage des fondamentaux par l’enfant le matin est évoqué par Benoît Hamon, son bien-être, sa manière d’apprendre et le respect du temps dont il a besoin sont laissés de côté.
Le souci de ces assouplissements, c'est qu'ils n'assouplissent en rien le temps de l'enfant.
Le projet reste figé sur des demi-journées scolaires de 3 h ou 3 h 30, avec l’obligation de cinq matinées d’enseignement.
Premier assouplissement : la possibilité de déroger à la règle des 5 h 30 maximum par jour avec le choix de huit demi-journées de classe au lieu des neuf prévues par le décret de Vincent Peillon. Les cinq matinées sont respectées certes, mais peu de changement pour les enfants avec la semaine de 24 heures de Darcos : trois journées de classe de six heures et deux demi-journées de trois heures.
Deuxième assouplissement : 23 heures d’enseignement au lieu de 24 heures permettent quatre journées de cinq heures avec un mercredi ou un samedi matin… mais seulement pour ceux qui le souhaitent, car la récupération de cette heure hebdomadaire se fera sur les vacances.
Si on n’a guère parlé du deuxième assouplissement, ce n’est pas le cas du premier !
Avec lui, Benoît Hamon a ouvert la boîte de Pandore, une déferlante ne se fait pas attendre pour cette expérimentation, des villes (comme Lyon jettent leur dispositif pour libérer le vendredi après-midi… et rendre les activités périscolaires payantes)
Les nouvelles municipalités de droite refusent de mettre en place les TAP (temps d’activités pédagogiques ou NAP) même pour celles qui ne comptent pas fermer les écoles le mercredi.
Ces choix montrent bien, la priorité de l’intérêt des adultes sur celui de l’enfant. Il n’améliore rien, la semaine scolaire reste scandée par les rythmes du décret sans articulation avec les autres temps éducatifs proposés aux enfants. La fatigue et l’incohérence éducative sont toujours là.
La vision globale du temps éducatif de l'enfant et le respect de son temps de vie s'éloignent toujours un peu plus.
2017 - Un nouveau gouvernement et un nouveau ministre
Jean-Michel Blanquer est nommé ministre de l’Éducation nationale.
Quelques semaines plus tard, le mardi 27 juin 2017, un décret relatif aux dérogations à l'organisation de la semaine scolaire est publié. Le retour à la semaine de quatre jours est possible et c’est ce que souhaitent les enseignants, selon l’enquête réalisée par le SNUIPP*.
Presque 40 % des écoles reviennent à quatre jours dès septembre 2017. En 2018, combien conserveront la semaine de 4 jours et demi ?
Jean-Michel Blanquer évoque aussi une diminution des vacances scolaires sans précisions, celles d’automne, celles d’été ?
Il ne parle pas des vacances d’hiver, il ne faut pas froisser le tourisme blanc, même si les séjours ne concernent qu’un petit nombre d’enfants.
Il ne parle pas de la semaine de l’enfant, de son accès aux espaces éducatifs. Ce que peut vivre un enfant sur son territoire en dehors du temps scolaire ne semble pas le concerner. La liberté individuelle sans doute, mais surtout laisser cette préoccupation à la responsabilité des familles et des collectivités territoriales. Les inégalités vont donc se développer au détriment des enfants des milieux sociaux les plus défavorisés.
Bref, des effets d’annonce, des mesures qui flattent l’opinion, le « bon sens » et nourrissent le fantasme d’une école républicaine oubliée…
Pourtant une autre semaine, une autre année sont possibles, mais qui le souhaite vraiment ?
Une certitude : l'intérêt de l'enfant n'est pris en compte que lorsqu'il ne gène pas celui de l'adulte...
Alors ?
Articuler temps de l'enfant, temps de la famille et temps des enseignants, est-ce une utopie irréaliste ?
Non, une utopie ne peut être que si l’on souhaite la réaliser.
Alors au travail !
* Résultats de l'enquête : http://consult-rythmes.snuipp.fr/les-resultats.