12 Décembre 2019
Comme pour la COP24, ni le président français Emmanuel Macron, ni son premier ministre Édouard Philippe n'ont daigné se déplacer pour l’ouverture de la COP 25. Et pourtant la jeunesse manifeste, marche, s'active... et Greta Thunberg, personnalité de l'année pour le Time ne lâche rien. ! A Madrid, son discours
La France quand elle prend des mesures, c'est pour 2040 comme l'interdiction des plastiques. Un mépris des générations à venir.
Quant à l'éducation...
Jean-Michel Blanquer souhaite que l'École prenne en compte les grands enjeux environnementaux liés aux « ressources, au climat, à la biodiversité, à la croissance démographique et urbaine, à l'alimentation, à la cohésion sociale, à la solidarité internationale, au développement humain ». Bref « former le futur citoyen aux choix complexes pour préserver l’environnement tant dans son existence personnelle que dans la société dans laquelle il vit ».
Mais comment ? Quelques ajouts de mots, de groupes de mots, parfois d’une phrase par-ci par là dans les programmes. Souvent, l’enseignement est noyé dans chaque discipline. Quel sens pour les enfants, pour les adolescents déjà sensibilisés et conscients – et souvent nettement plus que leurs professeurs ?
Comprendre n’est pas juste apprendre en vue d’une évaluation, le frontal transmissif est insuffisant pour connaître son environnement et être en capacité de le protéger.
La connaissance de son environnement est naturelle à la pédagogie Freinet, «naturelle» est d’ailleurs une expression utilisée par Célestin Freinet pour montrer l’importance de ne pas séparer l’apprentissage du développement de l’enfant et du respect de ses cheminements singuliers et de ses tâtonnements, c’est la « méthode naturelle ».
Même s’il apprend par ses essais et ses erreurs, l’enfant a besoin d’un milieu suggestif, qui suscite le désir, d’un environnement bienveillant, riche de relations humaines et d’échanges de savoirs. C’est toute la part des familles, des adultes qui environnent l’enfant.
C’est toute la part de l’enseignant, un artisan de situations pédagogiques authentiques qui suscitent désir, curiosité, questionnements et donc recherches, enquêtes et travaux chez l’enfant.
C’est toute la part de la pédagogie Freinet qui vise des apprentissages ancrés sur la vie, sur l’environnement culturel, social, familial… pour que l’enfant en devienne vraiment acteur, mais pas dans n’importe quel milieu éducatif, il lui en faut un libérateur, coopératif et démocratique, car être citoyen ne se décrète pas à 18 ans...
L’éducation devrait apporter à tous les enfants les moyens et les outils de lire et de comprendre le monde. Ainsi devenu adulte, chaque enfant aurait les capacités d’agir sur lui, en coopération avec les autres pour l’améliorer et le transformer. Il deviendrait ainsi un citoyen conscient, acteur et auteur. Difficile lorsque l'on apprend par cœur pour des évaluations et des examens sans donner de sens, sans relier, sans tisser les savoirs et les connaissances dans un système compétitif et sélectif de comprendre son environnement.
Le monde est complexe, mais l’école continue de morceler, de simplifier, de résumer… et elle forme un citoyen individualiste et passif. Et nous, pédagogues Freinet, nous souhaitons construire un citoyen émancipé et créateur !
Sortir de l’école pour mieux y rentrer
En pédagogie Freinet, apprendre le monde ne se confine pas entre les murs de la classe et entre les pages d’un manuel scolaire. L’étonnement, les questionnements sur le monde se nourrissent des découvertes, des rencontres avec le monde extérieur.
Une plaque de rue, une vieille maison, une tour d’immeuble, un arbre penché, un coup de vent, l’envol d’un oiseau, une femme très âgée, un rai de lumière, une ombre sur le mur, un fauteuil roulant, un homme couché sur le trottoir, un musicien, un chauffard, une affiche… seront des amorces de questionnements, de débats, de recherches et de travaux.
Célestin Freinet l’avait bien compris : « Pour cette étude du milieu local nous irons puiser dans la vie véritable de l'enfant, à l'origine de ses sensations, de ses expériences et de ses découvertes, les éléments essentiels, les éléments de base – les seuls solides et définitifs – de sa formation, de son instruction, et de son éducation. Par réaction contre les manuels scolaires qui, rédigés et édités à Paris, prétendaient nous indiquer, à nous instituteurs des divers coins de France, et à toutes les heures du jour, les points du programme sur lesquels nous devions attirer l'attention de nos élèves, ou même les centres d'intérêt que nous allions offrir à leur curiosité, nous avons montré que notre enseignement devait normalement prendre ses racines dans le milieu où nous vivons, par le travail effectif répondant à nos besoins fonctionnels ; que nos enfants doivent connaître la géographie de leur pays avant d'étudier sur la carte les lignes bleues qu'on leur dit être des fleuves, et les masses bistres qui sont les montagnes ; que l'histoire de France ne commence pas par les Gaulois, pas plus que par Louis XIV, mais par l'étude affective des traces que le passé proche ou lointain a laissées autour de nous ; qu'avant de s'attaquer savamment aux sciences abstraites de nos livres, il nous faut expérimenter à même les possibilités et les exigences de notre milieu ; qu'avant de résoudre les problèmes standards de nos manuels, il faut avoir enquêté, supputé, calculé sur tout ce qui, autour de nous, nécessite mesures et comptes ; que le français lui-même ne s'apprend pas par des exercices froidement méthodiques, mais d'abord par la rédaction et la lecture que motive notre commune vie journalière. » [1]
Les textes libres et les poésies
De retour en classe ou un peu plus tard lors d’un temps de travail personnel avec l’aide de l’adulte, de ses pairs ou seul, l’enfant, le jeune exprimera ce qu’il a ressenti, expliquera ce qu’il a vu, imaginera un récit d’aventure, un conte ou écrira un poème.
Des illustrations complèteront l’écrit : les photos prises et les croquis tracés pendant la sortie ou le dessin nourri par les souvenirs.
La correspondance scolaire
Pour expliquer son milieu aux destinataires, ne faut-il pas d’abord aller l’explorer ? Ainsi, les enfants sont à leur tour plus sensibles et plus attentifs à celui de leurs correspondants et par extension à d’autres lieux, d’autres modes de vie plus lointains. Cet échange de lettres, de documents peut alimenter également des projets de séjour, de classe transplantée pour rencontrer les correspondants.
Le journal scolaire
Certains textes et poèmes écrits après la sortie pourront être choisis pour être publiés dans le journal ou sur le blog de classe ou de l’établissement. Un groupe d’élèves peut également rédiger un article pour présenter la sortie et ses découvertes historiques, géographiques, économiques, artistiques…
Le journal (papier ou blog) peut motiver les recherches, les programmations de visite. Il permet également de faire sortir les écrits et les différents travaux de la classe. Si son premier objectif est de valoriser les travaux : textes, œuvres artistiques, recherches, sorties… il permet également à la parole de l’enfant de sortir de la classe que ce soit dans l’école, dans le quartier ou dans les maisons.
Mémoire de la classe, le journal enracine les enfants dans une histoire commune, construite constituée de leurs intérêts et préoccupations, de leurs questions et regards sur le monde qui les entoure. Comme la correspondance, il s’enrichit d’autres cultures.
Le journal scolaire peut être très différent : par son format, son support, son contenu, sa périodicité ou sa destination. Qu’il soit journal papier manuscrit, imprimé ou saisi à l’ordinateur, papier découpé et collé, journal mural, journal réalisé avec un logiciel de PAO, journal numérique en ligne, audio ou vidéo, journal d’école ou journal de classe, le fondement reste la socialisation de la parole de l’enfant, la communication de son vécu et de son regard sur le monde.
Les organisations de sa production peuvent aussi être très différentes. Certaines classes ou écoles décident du contenu du journal en Conseil : quel contenu, qui fait quoi et pour quand, le travail est alors planifié et distribué. D'autres fonctionnent avec un comité de rédaction, mais dans tous les cas le journal scolaire reste une œuvre coopérative.
C’est en réalisant son propre journal que l’enfant sera à même de comprendre le fonctionnement des médias, les enjeux de la liberté d’expression et le pouvoir de l’écrit. « Le livre et le journal ne seront plus des demi-dieux automatiquement porteurs de vérité, mais bien des pensées d’enfants et d’hommes, manuscrites, puis imprimées, des pensées sujettes à critiques et à discussions. » Célestin Freinet (École Émancipée, n° 36, 6 juin 1925).
Produire un journal scolaire est un acte pédagogique et politique qui engage les enfants sur la voie de la citoyenneté et de la construction d’un esprit critique.
Les exposés
La sortie peut également déclencher un sujet de recherche à propos d’un monument, d’un nom sur une plaque de rue, d’un animal aperçu, d’un arbre, d’une plante, etc.
Un, deux élèves ou une équipe pourront s’investir dans la préparation d’un exposé : recherche de ressources (documents, personnes), rédaction de textes pour les panneaux de présentation, production d’illustrations (dessins, croquis, photos)…
Les sollicitations extérieures (courriers, courriels, sites de classe, manifestations locales) invitent à questionner sur ce qui se passe ailleurs.
Les œuvres d’art
Les ressentis de la sortie peuvent s’exprimer avec de la peinture, des pastels, des craies, des encres, des collages, des modelages… et provoquer des expositions dans la classe, l’établissement.
La participation des élèves
Plusieurs temps de parole sont institutionnalisés : l’entretien du matin ou le « Quoi de neuf ? », les temps de présentation (textes, livres, objets), les bilans qui donnent l’occasion de se questionner, d’en savoir plus et le Conseil de coopérative.
Au Conseil, des projets sont proposés, examinés et organisés.
Les élèves vont ainsi pouvoir s’impliquer dans la préparation d’une sortie, d’une visite, d’une invitation… Le Conseil permet de lister les besoins, les renseignements à chercher, les personnes à contacter, les documents à écrire, les tâches à se répartir, le matériel à se procurer. Il fait régulièrement le point pour ajuster les besoins, déterminer les actions restant à mener et les responsabilités de chacun.
Les emplois du temps, plannings sont actualisés chaque semaine.
L’enseignant reste la personne ressource, le guide et le soutien pour que chacun réussisse dans sa responsabilité et sa tâche. Garant des apprentissages, il a la responsabilité de la prise de conscience chez chacun de son cheminement.
Un véritable exercice de la citoyenneté dans un environnement démocratique où empathie, compréhension, coopération, laïcité, diversité, mixité…. ont toute leur place.
Si dans tous les établissements c’était ainsi, les enfants d’aujourd’hui dans 20 ans…
… dans les quartiers, les villes, les villages auraient les capacités de participer et de prendre les bonnes décisions pour l’humanité et la planète.
… au sein du parlement, représenteraient les citoyens et les citoyennes avec la conscience du bien commun que représentent l’humanité et la planète.
[1] Freinet Célestin, Le Milieu local, Brochure d’éducation nouvelle populaire (BENP) n° 24, octobre 1946.