20 Mars 2014
Chroniques parues dans l'Humanité « Invitée de la semaine » du 11 au 15 mars 2013
Un défi d'écriture au quotidien...
Transformer l'école et le quotidien des enfants
Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école arrive devant les parlementaires. Ce projet s’est nourri de la grande concertation organisée par le ministère et qui a réuni les syndicats, les fédérations de parents, les collectivités locales, les mouvements pédagogiques et d’éducation populaire, des institutionnels… L’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM – Pédagogie Freinet) y a participé à sa mesure.
Ce n’est pas la première fois que le mouvement Freinet se trouve concerné par une réforme portée par la gauche. Dès 1936, L’Éducateur prolétarien, revue du mouvement, consacre un numéro spécial sur le projet du ministre de l’Éducation nationale, Jean Zay : « Nouveau plan d’étude français ». Célestin Freinet y propose un grand nombre de réformes portant sur l’organisation de la classe, de l’école et la création d’écoles expérimentales. Au début des années 80, Alain Savary porte une attention toute particulière aux mouvements pédagogiques et souhaite pérenniser leurs actions avec des moyens humains et financiers, en permettant la création des établissements expérimentaux. Sans oublier Lionel Jospin et la loi d’orientation de 1989 qui met « l’élève au centre de l’école ».
Avril 2013, à l’image de notre fondateur, notre mouvement pédagogique consacre un numéro spécial de sa revue Le Nouvel Éducateur, « Refondation ? » où s’y déclinent nos propositions pour une école populaire et émancipatrice, mais également une lecture critique du projet de loi. La flambée d’espoirs qui avait jailli après plus de cinq ans de régression pédagogique et de renoncement éducatif a rapidement laissé place aux déceptions et aux désillusions, même s’il nous semble encore possible de transformer l’école et le quotidien de tous les enfants. Jean Zay, Alain Savary, Lionel Jospin furent trois ministres porteurs de projets ambitieux ayant marqué l’histoire de l’école. Je souhaite vivement que Vincent Peillon devienne le quatrième. Sans illusions.
La morale laïque se vit au quotidien
Enfermés à partir d’aujourd’hui dans la chapelle Sixtine, sous les fresques de Michel-Ange, les cardinaux devront choisir le nouveau pape. Cet événement risque de réléguer tous les autres au second plan. L’essentiel des caméras de télévision sera tourné vers les cheminées.
Quelle place restera-t-il pour les meurtris, les laissés pour compte de notre société, pour les victimes des guerres, des dictatures… pour le reste du monde ?
Les paris sont lancés : le pape sera-t-il noir, jeune, européen… ? En tout cas ce qui est sûr, ce ne sera pas une femme !
Et là, je me mets à penser à la laïcité, à la mixité, à la jeunesse, à l’École de la République et bien sûr à l’enseignement de la morale laïque qui permettrait aux enfants d’analyser et de comprendre les valeurs de la République, les règles, les droits et les obligations pour s’émanciper et pouvoir choisir hors de tous déterminismes.
Mais comment ? Si cet enseignement en reste au discours, les élèves pourront tout restituer correctement dans des évaluations, mais continuer d’agir et de penser comme si rien ne s’était passé.
De plus, cet empilement de valeurs, de règles, de droits et d’obligations restera très éloigné de la vie d’un grand nombre d’enfants et de jeunes qui arrivent à l’école préoccupés, voire ensevelis par la précarité et les injustices qu’ils vivent avec leur famille. Malaise renforcé encore par les situations scolaires qui renforcent ce sentiment d’injustice et d’inégalité. Et pourtant, l’école souhaiterait transmettre le savoir, le partage, la coopération, la confiance, l’empathie… mais la société propage l’opinion, l’individualisme, la compétition, la défiance, l’indifférence…
Quel écart entre les bonnes paroles enseignées et la réalité !
Alors que faire ?
« La morale ne s’enseigne pas, elle se vit » affirmait Freinet. Elle se vit au quotidien : analyser, comprendre, argumenter, donner son opinion, agir autrement et vivre plus heureux. Ainsi, l’enfant devenu adulte pourra-t-il améliorer la société qu’on lui a laissée.
Après la morale à l’école, c’est le moral qui est au plus bas. Je pense à ceux que l’austérité précarise et particulièrement à la jeunesse.
La jeunesse… un mot qui devrait faire rêver, espérer, mais qui inspire méfiance et rejet. Le jeune serait individualiste, apathique, incapable de s’engager et… inséparable de son mobile.
On reproche aux jeunes de ne plus investir le collectif, mais le système qu’il soit éducatif ou économique leur répète sans cesse qu’il ne faut compter que sur soi et ses ressources personnelles, quitte à évincer l’autre. Dès la maternelle, ils sont mis sous la pression de la performance et des évaluations, ce qui génère angoisse, sentiment d’échec et perte d’estime de soi. Les filières d’excellence quant à elles ne sont que des machines à reproduire les élites et l’orientation par les résultats scolaires étouffe tout désir professionnel personnel. Et que dire d’une société qui laisse tant de jeunes sortir du système éducatif sans aucun diplôme ?
Pourtant, la jeunesse devrait être un temps mêlé d’incertitudes, d’indécisions et d’indépendance, un temps propice aux expérimentations et aux allers et retours entre les rêves et la réalité. Malheureusement, cette période de la vie déborde d’inégalités et beaucoup trop de jeunes connaissent la précarité, voire la pauvreté. Certains abandonnent leurs études faute de moyens sans trouver pour autant de travail, c’est alors le temps de l’errance qui peut conduire à vivre dans la rue.
Si la jeunesse est vraiment la priorité du gouvernement, le projet de loi pour la refondation de l’école en débat cette semaine à l’Assemblée nationale devra être ambitieux ! Qu’il redonne tout son sens à l’école comme lieu d’expérimentation et de socialisation, qu’il laisse le temps à nos jeunesses de vivre et d’étudier ensemble en envisageant leur orientation le plus tard possible ! Regardons du côté de la Finlande… il est vrai que leur système est très largement teinté de pédagogie Freinet !
Les devoirs à l'école, une affaire de pédagogie
Dans le projet de loi pour l’École en discussion cette semaine à l’Assemblée nationale, l’interdiction des devoirs à la maison est réaffirmée. Déjà en 1956, une circulaire les supprimait pour raison de « santé et d’efficacité ». Ce n’était pas suffisant, car en 1964, une autre circulaire portait l’interdiction aux « écrits à exécuter hors de la classe ». Néanmoins, aucun texte n’a jamais demandé aux enseignants de prescrire un travail aux élèves après la journée de classe.
Et pourtant en 2013, c’est souvent la première préoccupation familiale du soir : « As-tu beaucoup de devoirs à faire ce soir ? »
Certes, l’enfant a besoin de temps de travail individuel, de temps personnels d’appropriation et d’entraînement, il doit aussi apprendre à s’organiser et à devenir autonome. Tous ces éléments sont indispensables à l’apprentissage, mais ils sont à intégrer dans le temps d’enseignement. C’est une affaire de pédagogie et de formation.
Pourquoi ?
L’école n’a pas pour fonction de sous-traiter et d’externaliser.
Toutes les familles n’ont pas les mêmes possibilités pour encadrer le travail personnel (horaires de travail, conditions matérielles, niveau scolaire…). À l’inverse, la classe apporte les ressources nécessaires (bibliothèque, ordinateurs…), l’entraide, les soutiens ponctuels, les aides ciblées et les suivis individuels de l’enseignant pour permettre à tous les enfants de s’approprier des savoirs et des savoir-faire dans un milieu coopératif.
L’enfant a des journées souvent plus longues que l’adulte, car au temps de la classe, il faut ajouter celui de la garderie, de la cantine, de l’étude, du périscolaire…
La relation parents-école peut se vivre autrement qu’à travers les devoirs : la consultation des cahiers, la lecture du journal scolaire ou du blog, la participation aux travaux et aux expositions de la classe, l’animation d’ateliers, les relations individuelles avec l’enseignant… et dans les classes Freinet « l’heure des parents » qui invite les familles à venir régulièrement passer un moment dans la classe.
Former à l'esprit critique dans la société du spectacle
La neige avec les naufragés de la route, les transports en commun paralysés, les touristes émerveillés a recouvert toute l’actualité ! Seules quelques images du Vatican et du Président contesté à Dijon ont réussi à s’imposer, mais pas une seule sur ceux qui vivent dans la rue ou dans des conditions misérables.
De toute façon, quand la misère, le chômage, la maladie sont traités, ils sont banalisés par des chiffres et des statistiques puis commentés par quelques experts, des personnes désignées compétentes par les politiques et qui deviennent des professionnels des plateaux. Le citoyen subit passivement le flot d’informations qui lui fait confondre voir et savoir, voir et comprendre.
Les conditions de concurrence de l’information provoquent le mimétisme, les médias se copient les uns les autres. Les journaux suivent le ton de la télé, l’information en continu impose le nivellement de tous les faits. Tous s’accordent à trouver tel événement digne d’intérêt et tel autre négligeable.
La presse écrite a une mission d’investigation, de débat, mais elle se réduit comme peau de chagrin... et de plus en plus, les émissions et les journaux jouent plutôt sur le spectacle que sur la construction d’une pensée collective sur une question donnée.
Les citoyens peuvent-ils se réapproprier l’information ?
Certains médias sur internet développent la participation de leurs lecteurs. Mais qui s’approprient ces espaces participatifs ? Ceux qui ont le temps, ceux qui ont une certaine formation, ceux qui ne regardent jamais la télévision ou alors avec l’esprit critique ? Certainement pas tous les citoyens !
Une proposition : mettre en œuvre dès l’enfance des pratiques de participation démocratique, d’analyse critique des médias, de production d’informations que ce soit à l’école, dans les centres de loisirs ou au sein des associations culturelles et sportives.
Ces pratiques existent déjà portées par des militants pédagogiques et d’éducation populaire. Les ESPÉ (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) leur ouvriront-elles leurs portes ?