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Education, droits de l'enfant, écologie, société...

Je dis la paix

Un poème de Louis Aragon publié en 1954, les accords de Genève sur l’Indochine venaient d’être signés à Genève. En ces temps de guerres que ce soit en Ukraine, à Gaza, au Soudan… sans perspectives de paix , mais au contraire avec des risques d’extension des conflits, ce texte est important.

 Je dis la paix

Je dis la paix pâle et soudaine
Comme un bonheur longtemps rêvé
Comme un bonheur qu'on croit à peine
       Avoir trouvé

Je dis la paix comme une femme
J’ouvrais la porte et tout à coup
Ses deux bras autour de mon âme
          Et de mon cou

Je dis la paix cette fenêtre
Qui battit l'air un beau matin
Et le monde ne semblait être
          Qu'odeur du thym

Je dis la paix pour la lumière
A tes pas dans cette saison
Comme une chose coutumière
  A la maison

Pour les oiseaux et les branchages
Verts et noirs au-dessus des eaux
Et les alevins qui s'engagent
          Dans les roseaux

Je dis la paix pour les étoiles
Pour toutes les heures du jour
Aux tuiles des toits et pour toi l'
          Ombre et l'amour

Je dis la paix aux jeux d'enfance
On court on saute on crie on rit
On perd le fil de ce qu'on pense
       Dans la prairie

Je dis la paix mais c'est étrange
Ce sentiment de peur que j'ai
Car c'est mon cœur même qui change
                 Léger léger

Je dis la paix vaille que vaille
Précaire fragile et sans voix
Mais c'est l'abeille qui travaille
          Sans qu'on la voie

Rien qu'un souffle parmi les feuilles
Une simple hésitation
Un rayon qui passe le seuil
          Des passions

Elle vacille elle est peu sûre
Comme un pied de convalescent
Encore écoutant sa blessure
          Son sang récent

La guerre a relâché ses rênes
La guerre a perdu la partie
Il en reste un son sourd qui traîne
         Mal amorti

Ce sont les chars vers les casernes
Qui font encore un peu de bruit
Nous danserons dans les luzernes
          Jusqu'à la nuit

Tu vas voir demain tu vas voir
Les écoliers dans les préaux
Et ce beau temps à ne plus croire
                 La météo

On va bâtir pour la jeunesse
Des maisons et des jours heureux
Et les amours voudront que naissent
           Leurs fils nombreux

On reconstruira par le monde
Les merveilles incendiées
La vie aura la taille ronde
          Sans mendier

Enfin veux-tu que j'énumère
Les Versailles que nous ferons
Les airs peuplés par les chimères
          De notre front

Et l'immense laboratoire
Où les miracles sont humains
Et la colombe de l'histoire
          Entre nos mains

Je sais je sais Tout est à faire
Dans ce siècle où la mort campait
Et va voir dans la stratosphère
          Si c'est la paix

Eteint ici là-bas qui couve
Le feu court on voit bien comment
Quelqu'un toujours donne à la louve
          Un logement

Quelqu'un toujours quelque part rêve
Sur la table d'être le poing
Et sous le manteau de la trêve
            Il fait le point

Je sais je sais ce qu'on peut dire
Et le danger d'être d'endormi
L'homme au zénith et le nadir
           A l'ennemi

Je sais mais c'est la paix quand même
Le recul du monstre devant
Ce que je défends Ce que j'aime
          Toujours vivant

C'est la paix dont les peuples savent
Obscurément tous plus ou moins
Contre le maître et pour l'esclave
          Qu'elle est témoin

C'est la paix des peuples où sourd
L'eau profonde des libertés
C'est au silence des tambours
          Le mai planté

C'est la paix couleur de la preuve
Où le meurtre porte son nom
A qui le voile de la veuve
           Dit Non

C'est la paix qui force le crime
A s'agenouiller dans l'aveu
Et qui crie avec les victimes
          Cessez le feu

Disponible dans Aragon – Œuvres poétiques complètes II page 75. Bibliothèque de la Pléiade

 

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