25 Juin 2017
Scolarité certes, mais en tant qu’acteurs et auteurs des temps éducatifs à l’intérieur de l’école, n’avons-nous pas la responsabilité d’ouvrir les yeux sur ce que vit, traverse l’enfant dans sa journée, voire sa semaine ?
Il n’y a pas que l’école dans la journée, la semaine de l’enfant.
Lorsqu'on sait que beaucoup d’enfants passent 45 heures en dehors de leur famille par semaine, il est essentiel de considérer tous les temps que traverse l'enfant. Il y a bien sûr les temps éducatifs (dont les 24 h de classe), les temps de repas et de repos qui n’échappent pas non plus aux règles collectives. En fait, peu de temps personnel de jeu, de rêveries, de lectures…
Tous ces temps se suivent sans se regarder et souvent s'opposent dans leur organisation et dans les principes pédagogiques qu'ils mettent en œuvre. Par exemple :
Certains privilégient la coopération pendant que d'autres utilisent la compétition et la concurrence.
Certains permettent à l'enfant de donner son avis, alors que d’autres perçoivent l'enfant comme un être obéissant et passif.
Certains prônent l'expression et la création alors que d’autres voient l'enfant comme un objet, un vase à remplir.
Le mieux est parfois à l’école, le mieux est parfois hors de l’école
Le pire est parfois à l’école, le pire est parfois hors de l’école.
En tout cas, les enfants passent de l’un à l’autre, sans passerelle, sans sas, d’une porte à l’autre, d’un adulte à l’autre, d’un groupe à l’autre. Ils s’adaptent ou pas… et quand ils arrivent à l’école, certains sont fatigués, certains sont atones, d’autres sont agités…
Et c’est donc bien à toute la communauté éducative (familles, enseignants, professionnels de l’éducation, personnel communal, animateurs, élus du territoire…) de coopérer pour faciliter les passages entre tous les temps et espaces éducatifs que fréquentent les enfants.
L’école a des murs, des grilles, des interphones, des gardiens, à première vue elle est refermée sur elle-même, mais paradoxalement elle accueille de plein fouet l’actualité et les remous de la société.
En effet, tous les enfants n’ont pas les mêmes « bagages » en y pénétrant le matin : logement, alimentation, sommeil, santé, temps de garderie, sans oublier des spécificités personnelles qu’elles soient psychologiques ou physiologiques.
Certains ont même des « bagages » très lourds à porter : pauvreté, craintes de se retrouver dans la rue, séparation des parents, de sa fratrie… Et ils sont de plus en plus nombreux, car le chômage de longue durée touche de plus en plus de familles, difficile alors pour les enfants de se projeter et trouver de l’intérêt dans le travail scolaire.
L’école peut être un moment où l’enfant se sent bien, si elle sait prendre en compte tout ce qu’il est, si elle lui permet de vivre et d’apprendre en même temps. Faciliter les passages de sa scolarité, c’est donc l’accueillir avec tous ses « bagages ».
En tant qu’enseignante, faciliter les passages cela commence chaque matin et tout au long de la journée en classe.
Voici quelques éléments pour faciliter la journée dans la classe pris dans mes pratiques pédagogiques, il y en a bien d’autres.
- Mettre un « sas » à l’entrée dans la classe, un accueil tranquille (comme en maternelle bien que certaines écoles le remettent en cause), un moment de parole comme l’entretien ou le « Quoi de neuf ? » pour que chaque enfant ait le temps d’enfiler ses chaussons d’élève. Un temps qui prend en compte le vécu de l’enfant hors l’école, que ce soit dans les activités périscolaires ou familiales.
- De prévoir d’autres « sas » au retour de la pause méridienne, des récréations avec des temps de présentation (textes, livres, poésies, musique…).
- Réserver dans l’emploi du temps, des temps de travail personnel pour permettre un travail continu et serein pour les enfants, où chacun chemine selon ses possibilités en sécurité, car l’enseignant accompagne, soutient celui qui en besoin, laisse celui qui le peut avancer seul et veille à ce que chacun progresse.
- D’affirmer le droit à l’erreur, qu’un résultat n’est pas définitif, de donner ainsi le temps de recommencer un travail, une évaluation, etc. C’est donner confiance et estime de soi, des éléments indispensables pour ne pas avoir peur de faire, d’oser et ainsi rester accrochés et donc ne pas décrocher.
- D’installer l’entraide et la coopération pour progresser et ainsi se projeter dans la suite des apprentissages et faciliter les différents passages de difficulté des connaissances.
-De s’autoriser en tant qu’enseignant à ne pas suivre l’emploi du temps pour ne pas casser tout simplement une activité qui captive et qui nous fait oublier de regarder la pendule.
- D’inviter dans la classe un parent, un grand-parent, un grand frère ou une grande soeur pour nous exposer un métier, un centre d’intérêt, un pays, d’inviter un musicien, un artiste de la ville, un bénévole d’une association… bref tout ce qui facilite la reconnaissance des autres acteurs éducatifs et ainsi de faciliter les passages entre les différents espaces d’éducation que peut fréquenter un enfant de la maison aux différents lieux culturels.
- Et avant de quitter la classe, le soir faire le bilan de la journée, un moyen de se projeter et de relier aujourd’hui et demain.
Bien sûr les différentes périodes de vacances sont des ruptures à prendre en compte, surtout celles d’hiver qui favorisent plus le tourisme blanc que le repos des enfants !
Et là, les inégalités sont criantes. Entre ceux qui partent à chaque fois, ceux qui ne partent jamais, ceux qui fréquentent les centres de loisirs, ceux qui n’ont que les bas d’immeubles, ceux qui se collent devant la télé ou qui ne quittent pas les jeux vidéos... Le retour en classe sera alors bien différent, en être conscient permettra de donner le temps à chacun de retrouver ses « chaussons » d’élève.
En tant qu’enseignante, j’ai privilégié autant que possible les classes de cycle ou à double niveau
En effet, elles permettent la continuité dans le changement, continuité d’espace, d’enseignant, de pédagogie… mais avec obligatoirement des nouveautés, car un tiers ou une demie classe se renouvelle chaque année et avec eux de nouvelles participations, projets et organisations. Des rites conservés ou pas d’ailleurs, mais jamais de routines !
Cette continuité décompresse et déstresse, car les cheminements personnels, les processus d’apprentissage peuvent s’étendre sur deux ou trois ans. Ce qui permet à chaque enfant de prendre sans pression temporelle annuelle un maximum de force, de savoirs pour passer dans le cycle suivant. Si une école entière fonctionne ainsi, l’arrivée au CP ou en sixième est facilitée et la fierté d'y entrer ne s’éteindra pas au bout de quelques semaines, voire au bout de quelques jours pour certains.
Bien sûr on peut rêver qu’avec le nouveau cycle 3 les enseignants de CM1 et de CM2 travailleront avec les enseignants de sixième pour apporter quelques continuités, comme les outils d’évaluations, la prise en compte des lectures, des projets réalisés en amont, mais...
Je m’arrêterai là, on pourrait continuer en évoquant tous les passages éducatifs que rencontre un être humain tout au long de sa vie.
En tous cas, pour le temps de l’enfance (jusqu’à 18 ans selon la Convention internationale des droits de l'enfant) faciliter les passages, c’est bien l’affaire de tous dans et hors l’école.