26 Juin 2020
Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute façon. Il change même considérablement sans notre intervention. Nous devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes.
Nous ne sommes pas dupes : le contexte sanitaire sert aujourd’hui de prétexte à la mise en place de nouvelles mesures, autoritaires et liberticides, tout particulièrement dans le domaine de l’enseignement, de la maternelle à l’université. Nous refusons le sort qui est fait aujourd’hui à notre jeunesse, et derrière elle, la mise au pas de la société tout entière, à grand renfort d’outils numériques. Plus qu’au virus, c’est à ce qui fait notre humanité que le gouvernement semble avoir déclaré la guerre. Aussi nous nous saisissons de cette date hautement symbolique du 18 Juin pour lancer un appel au sursaut des consciences et à la résistance.
Des dirigeants politiques indignes, qui depuis de nombreuses années sont à la solde des lobbies et forment notre gouvernement, utilisent la pandémie pour instaurer la mise à distance, accélérer la casse de l’école publique et provoquer la défaite de la pensée. Nous refusons de continuer à subir le confinement des cerveaux et le déluge numérique qui nous est infligé.
Les protocoles drastiques imposés dans les écoles culpabilisent les enfants dans leurs élans les plus naturels. L'autre devient une menace. La manière dont la "distanciation sociale" fait loi va à l'encontre de ce qui forge la cohésion sociale. L'anormal est en passe de devenir la norme, exposant les plus jeunes à une forme sournoise de maltraitance. Une nouvelle pandémie se répand : celle de la pensée unique et dématérialisée. Déjà conçue depuis des années comme un centre de tri, l’école est en passe de devenir un instrument de soumission. On finit par oublier que l’enseignement repose sur une transmission qui nécessite d’être incarnée et qui ne peut exister sans relation humaine et tangible. Aucun outil numérique ne pourra remplacer un professeur ou une institutrice : délivrer des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être implique un engagement relationnel. On ne remplacera pas les enseignants par des écrans !
Pourtant les déclarations du ministre de l’Éducation et désormais une proposition de loi présentent « l’enseignement numérique distanciel » comme l’école de l’avenir. Mais cela ressemble plutôt à une expérience d’aliénation de masse, visant à nous transformer en consommateurs de produits numériques standardisés et à nous attacher un peu plus encore à nos écrans. À la fois otages et complices, enseignants et parents deviennent malgré eux les auxiliaires et les victimes de ce système prédateur et déshumanisé. Un système d’endoctrinement et de surveillance, qui criminalise et anéantit toute possibilité de construire une intelligence critique.
Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? Nous ne le croyons pas ! Face à cette guerre mondiale déclarée à l’intelligence, à la sensibilité et à la vie, il existe une force immense.
Nous, qui sommes désormais comme Personne face à l’œil du Cyclope, nous affirmons que rien n’est perdu. Nombreux sont celles et ceux qui refusent ce dévoiement de l’esprit de l’école publique. Même de hauts fonctionnaires du ministère dénoncent aujourd’hui « un système éducatif détourné de ses fondements républicains et de ses valeurs », une « mise au pas générale », la « compétition de tous et l’élimination des plus faibles ».
Nous, Personne, qui sommes actuellement partout, nous appelons tous les jeunes de ce pays à reprendre possession de leur intelligence et à devenir maîtres de leur avenir. Nous appelons tous les parents d’élèves, enseignants et éducateurs, exaspérés par le décalage entre la réalité et le discours idéologique sur la ʺNation apprenanteʺ, à réagir contre l’instauration de ce funeste « ordre nouveau » de l’éducation.
Nous appelons à inventer les gestes barrières non pas contre l’Autre, mais contre la dystopie numérique et la surconsommation qui font fi de toutes les valeurs éthiques, de toutes les recommandations médicales, et qui accélèrent de manière vertigineuse l’épuisement des ressources et l’extinction du vivant sur notre planète.
Nous appelons à ne plus laisser les tenants d’un productivisme effréné, inconscients des urgences qu’affronte l’espèce humaine, déverser leurs mensonges et imposer leurs politiques inégalitaires et dévastatrices. Leur monde d’après est un cauchemar pour l’humanité entière, nous n’en voulons pas.
Nous appelons à cesser de nous conformer aux injonctions contradictoires et aliénantes, à réapprendre à penser par nous-mêmes, à exercer notre libre-arbitre et notre responsabilité.
Nous refusons le sacrifice de notre jeunesse, et nous appelons à traduire en actions concrètes notre colère et notre refus d’un modèle d’éducation et de pratiques d’enseignement qui nous déshumanisent et asservissent les consciences. Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance ne doit pas s'éteindre.
Collectif « Nous, Personne »
Cet Appel est également paru le 18 juin 2020 dans : Mediapart, Regards, Politis , L’Humanité, Rue89 Strasbourg, Les Dernières Nouvelles d’Alsace