10 Février 2024
La France abolit la peine de mort en 1981 devenant le 36e État à adopter cette mesure, alors qu'elle est le dernier membre de la Communauté économique européenne (ancêtre de l'Union européenne) à l'appliquer.
Robert Badinter incarne le combat pour l'abolition de la peine de mort :
« Dans le rituel de l'exécution s'inscrivait toujours le sacrifice expiatoire : la mort pour la mort, afin que s'apaise la colère des dieux, qui n'est autre que la projection de notre insurmontable angoisse.»
« Comme l'écrivait Victor Hugo : "L'abolition doit être pure, simple et définitive".»
« J'étais le ministre aux côtés duquel il ne fallait pas se montrer, si grand était, pour les experts en politique, le risque de contagion de mon impopularité »
Ses réalisations en tant que ministre de la justice :
La suppression de la Cour de sûreté de l'Etat, l'abrogation de la loi « sécurité et liberté » d' Alain Peyrefitte, le délit d'homosexualité hérité de Vichy, la loi anticasseur après Mai 68, la création des travaux d'intérêt général, l'ouverture aux justiciables français l'accès à la Cour européenne des droits de l'homme. Dans les prisons, la suppression des quartiers de haute sécurité et l'uniforme, il donne droit aux parloirs libres, l'accès au téléphone, à la télévision en cellule : « Il ne s'agit pas de donner aux détenus les conditions les plus confortables possibles. Il faut qu'ils puissent conserver le maximum de liberté, compatible avec leur détention, de manière à empécher l'infantilisation qui réduit leurs chances de réinsertion. »
Des extraits de son discours devant l'Assemblée nationale, le 17 septembre 1981 :
« Je regarde la marche de la France.
La France est grande, non seulement par sa puissance, mais au-delà de sa puissance, par l'éclat des idées, des causes, de la générosité qui l'ont emporté aux moments privilégiés de son histoire.
La France est grande parce qu'elle a été la première en Europe à abolir la torture malgré les esprits précautionneux qui, dans le pays, s'exclamaient à l'époque que, sans la torture, la justice française serait désarmée, que, sans la torture, les bons sujets seraient livrés aux scélérats.
La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l'esclavage, ce crime qui déshonore encore l'humanité.
Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant d'efforts courageux, l'un des derniers pays, presque le dernier - et je baisse la voix pour le dire - en Europe occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle, à abolir la peine de mort.
Pourquoi ce retard ? Voilà la première question qui se pose à nous.
Ce n'est pas la faute du génie national. C'est de France, c'est de cette enceinte, souvent, que se sont levées les plus grandes voix, celles qui ont résonné le plus haut et le plus loin dans la conscience humaine, celles qui ont soutenu, avec le plus d'éloquence, la cause de l'abolition. Vous avez, fort justement, monsieur Forni, rappelé Hugo, j'y ajouterai, parmi les écrivains, Camus. Comment, dans cette enceinte, ne pas penser aussi à Gambetta, à Clemenceau et surtout au grand Jaurès ? Tous se sont levés. Tous ont soutenu la cause de l'abolition. Alors pourquoi le silence a-t-il persisté et pourquoi n'avons-nous pas aboli ?
Je ne pense pas non plus que ce soit à cause du tempérament national. Les Français ne sont certes pas plus répressifs, moins humains que les autres peuples. Je le sais par expérience. Juges et jurés français savent être aussi généreux que les autres. La réponse n'est donc pas là. Il faut la chercher ailleurs.
Pour ma part, j'y vois une explication qui est d'ordre politique. Pourquoi ?
L'abolition, je l'ai dit, regroupe, depuis deux siècles, des femmes et des hommes de toutes les classes politiques et, bien au-delà, de toutes les couches de la nation.
Mais si l'on considère l'histoire de notre pays, on remarquera que l'abolition, en tant que telle, a toujours été une des grandes causes de la gauche française. Quand je dis gauche, comprenez-moi, j'entends forces de changement, forces de progrès, parfois forces de révolution, celles qui, en tout cas, font avancer l'histoire.
Examinez simplement ce qui est la vérité. Regardez-la.
[...]
Jaurès - que je salue en votre nom à tous - a été, de tous les orateurs de la gauche, de tous les socialistes, celui qui a mené le plus haut, le plus loin, le plus noblement l'éloquence du cœur et l'éloquence de la raison, celui qui a servi, comme personne, le socialisme, la liberté et l'abolition.
[...]
Messieurs, j'ai salué Barrés en dépit de l'éloignement de nos conceptions sur ce point ; je n'ai pas besoin d'insister. Mais je dois rappeler, puisque, à l'évidence, sa parole n'est pas éteinte en vous, la phrase que prononça Jaurès : "La peine de mort est contraire à ce que l'humanité depuis deux mille ans a pensé de plus haut et rêve de plus noble. Elle est contraire à la fois à l'esprit du christianisme et à l'esprit de la Révolution."
En 1908, Briand, à son tour, entreprit de demander à la Chambre l'abolition. Curieusement, il ne le fit pas en usant de son éloquence. Il s'efforça de convaincre en représentant à la Chambre une donnée très simple, que l'expérience récente - de l'école positiviste - venait de mettre en lumière.
Il fit observer en effet que, par suite du tempérament divers des Présidents de la République, qui se sont succédé à cette époque de grande stabilité sociale et économique, la pratique de la peine de mort avait singulièrement évolué pendant deux fois dix ans : 1888-1897, les Présidents faisaient exécuter ; 1898-1907, les Présidents - Loubet, Fallières - abhorraient la peine de mort et, par conséquent, accordaient systématiquement la grâce. Les données étaient claires : dans la première période où l'on pratique l'exécution : 3 066 homicides ; dans la seconde période, où la douceur des hommes fait qu'ils y répugnent et que la peine de mort disparaît de la pratique répressive : 1 068 homicides, près de la moitié.
Telle est la raison pour laquelle Briand, au-delà même des principes, vint demander à la Chambre d'abolir la peine de mort qui, la France venait ainsi de le mesurer, n'était pas dissuasive.
Il se trouva qu'une partie de la presse entreprit aussitôt une campagne très violente contre les abolitionnistes. Il se trouva qu'une partie de la Chambre n'eut point le courage d'aller vers les sommets que lui montrait Briand. C'est ainsi que la peine de mort demeura en 1908 dans notre droit et dans notre pratique.
Depuis lors - soixante-quinze ans - jamais, une assemblée parlementaire n'a été saisie d'une demande de suppression de la peine de mort.
Je suis convaincu - cela vous fera plaisir - d'avoir certes moins d'éloquence que Briand mais je suis sûr que, vous, vous aurez plus de courage et c'est cela qui compte.
Les temps passèrent. On peut s'interroger : pourquoi n'y a-t-il rien eu en 1936 ? La raison est que le temps de la gauche fut compté. L'autre raison, plus simple, est que la guerre pesait déjà sur les esprits. Or, les temps de guerre ne sont pas propices à poser la question de l'abolition. Il est vrai que la guerre et l'abolition ne cheminent pas ensemble.
La Libération. Je suis convaincu, pour ma part, que, si le gouvernement de la Libération n'a pas posé la question de l'abolition, c'est parce que les temps troublés, les crimes de la guerre, les épreuves terribles de l'occupation faisaient que les sensibilités n'étaient pas à cet égard prêtes. Il fallait que reviennent non seulement la paix des armes mais aussi la paix des cœurs. »
Pour écouter le discours : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00004546/le-discours-integral-de-robert-badinter-sur-l-abolition-de-la-peine-de-mort
Le 18 septembre 1981, par 363 voix contre 117, l'Assemblée nationale adopte, après deux jours de débats, le projet de loi portant abolition de la peine de mort présenté, au nom du Gouvernement, par Robert Badinter, ministre de la justice. Douze jours plus tard, le texte est voté dans les mêmes termes par le Sénat, par 160 voix contre 126.