25 Juin 2017
6 mars 2016
Être enseignante, militante d’un mouvement pédagogique agréé complémentaire est une situation originale, la pédagogie Freinet serait complémentaire de l’enseignement public ! Sur le terrain, tous les inspecteurs ne le comprennent pas ainsi !
« Association complémentaire de l’enseignement public », cette expression m’a interpelée, reconnue nationalement par un ministère, mais pas dans les académies ni dans les circonscriptions, que ce soit dans la réalité des pratiques pédagogiques ou que ce soit en formation initiale et continue…
En fait, je pense que notre complémentarité se situe plutôt dans les outils pédagogiques que nous élaborons (fichiers, outils et revues pour la classe, documents pour les professeurs…) et non dans notre spécificité pédagogique. Bref des « compléments pédagogiques » au bon vouloir des enseignants, directeurs, formateurs et inspecteurs… rien à voir avec la cohérence éducative telle que l’on peut la penser. J’ai cette désagréable impression que la complémentarité ne serait qu’un ajout, une correction, pas obligatoire… un plus, qui dépendrait du bon vouloir des prescripteurs aussi bien au national que sur les territoires.
L’Éducation nationale aurait donc besoin de compléments, de services périphériques pour diversifier, enrichir, réparer ce qu’elle propose !
Cela me fait penser aux compléments alimentaires !
Un complément alimentaire peut être prescrit quand après des analyses, l’insuffisance d’un élément ou plusieurs éléments essentiels sont repérés.
Un complément alimentaire peut être pris aussi par des personnes averties, informées, qui ont des connaissances de diététique.
Un complément alimentaire est peu ou pas remboursé par la Sécurité sociale, il faut donc avoir les moyens…
Pour les personnes qui ne consultent pas, qui n’ont pas les connaissances diététiques, qui n’ont pas le budget : pas de compléments alimentaires.
Pas très égalitaire tout ça ! Il faut dire qu’une alimentation pour tous de qualité, on en est loin.
Et pour l’Éducation ?
Les compléments éducatifs peuvent être prescrits par des orthophonistes, des psychologues… Comme l’école n’est pas responsable, si l’enfant a des difficultés scolaires, il a certainement des insuffisances d’attention, de socialisation, d’écriture, de lecture, d’orthographe, de calcul, etc. Des ordonnances de séances seront données à ses parents pour le rééduquer, le soigner…
Les compléments éducatifs sont inégalitaires tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. Ils sont trop souvent considérés comme des suppléments, avec un développement inégalitaire (selon le territoire et la volonté politique locale…). Ils ne sont pas là pour assurer la continuité éducative et ils ne s’adressent pas à tous les enfants. Ils sont là pour garder, distraire, occuper, rééduquer, soutenir, aider aux devoirs, et les propositions dites culturelles ne sont pas accessibles à tous, certaines familles sauront les utiliser pour asseoir la réussite scolaire de leurs enfants, mais beaucoup d’entre elles ne s’autoriseront pas – « ce n’est pas pour nous… » – ou n’auront pas les moyens de les inscrire (barrières financières, mais aussi linguistiques).
Les compléments éducatifs sont soumis à la loi du marché. Sur le territoire, le monde associatif est de plus en plus souvent en concurrence avec les initiatives commerciales ce qui parfois diminue l’ambition pédagogique de certains projets pour rester concurrentiel au niveau des coûts… et les associations peuvent se retrouver en concurrence entre elles.
La continuité et la cohérence éducatives pour tous les enfants ne sont donc pas vraiment au cœur des politiques éducatives.
L’Éducation avec une grand E, devrait être « une », « entière », sans dixièmes, centièmes… « une » avec des temps et des espaces éducatifs différents, mais sans hiérarchie, sans discrimination et portée par le même projet éducatif.
Ce projet existe pour l’Éducation populaire et pour les mouvements pédagogiques, il est ambitieux, c’est la construction d’une personne, d’un sujet à travers tout ce que l’Éducation peut lui offrir et que la personne fait sien. Permettre cette construction, cette émergence du sujet c’est mettre au cœur du projet, l’enfant et le chemin singulier qu’il va prendre pour y parvenir. L’adulte, l’enseignant, l’éducateur, l’animateur l’accompagnent, le guide, lui offre des situations et démarches pédagogiques facilitatrices et sécurisantes. Une présence éducative réfléchie qui œuvre dans les différents espaces et qui ne se satisfait pas d’être réduite à des compléments d’École.
D’ailleurs, en lisant ce passage de la Loi de refondation…
« Le secteur associatif ainsi que les mouvements d’éducation populaire sont des partenaires essentiels de l’école. Ils font partie intégrante de la communauté éducative dont les actions sont déterminantes pour l’enrichissement de l’environnement éducatif des élèves. Ces acteurs méritent amplement d’être reconnus dans leur diversité et pour la qualité de leurs interventions. Le partenariat qui les associe à l’école doit être développé dans le respect et en fonction des capacités et des compétences ainsi que de l’objet défendu par les partenaires qui le constituent. »
… ils sont bien des partenaires éducatifs et non pas des compléments éducatifs !
Ces partenaires agissent sur le territoire, que ce soit dans les écoles ou hors de l’école. Ils agissent dans de multiples temps et espaces éducatifs. Lorsqu’on dresse la liste, même en prenant les principaux, on s’aperçoit très vite de la nécessité de la coopération entre tous les acteurs impliqués pour qu’il y ait une continuité éducative réelle.
Les différents temps éducatifs :
- Les temps éducatifs familiaux, vécus chaque jour, semaine, mois et année
- Les temps éducatifs institutionnels consacrés à l’accueil de la petite enfance
- Les temps éducatifs institutionnels scolaires, de 3 à 16 et plus
- Les temps éducatifs périscolaires encadrés (transports, accueil et restauration scolaires, études surveillées, aides aux devoirs, « accompagnement éducatif » en milieu scolaire, activités relevant du dispositif de « réussite éducative » hors des établissements scolaires)
- Les temps libres consacrés aux loisirs éducatifs (récréatifs, culturels, sportifs) extrafamiliaux, encadrés ou non (quand ils ne le sont pas, l’enfant ou le collectif d’enfants peut être à lui-même son propre éducateur…)
- Les temps de repos, de sommeil, voire d’ennui ne sont pas a priori éducatifs, mais les rythmes qui les structurent ont des effets sur les autres temps…
Les différents espaces éducatifs :
- L’espace de la famille, composé au moins des parents et de la fratrie, sous ses multiples formes (foyers conjugaux, séparés, monoparentaux, recomposés, etc.) et en ses multiples périmètres (grands parents, oncles et tantes, etc.)
- Les espaces d’accueil de la petite enfance, collectifs ou familiaux
- Les espaces scolaires (de l’école primaire au lycée, au centre de formation des apprentis, etc.)
- Les espaces constitués par les établissements et services socio-éducatifs, médico-éducatifs ou médico-pédagogiques spécialisés
- Les espaces périscolaires (transports et restauration, cour de récréation, lieux de tenue des actions de soutien et d’accompagnement scolaires et aide aux devoirs, etc.)
- Les espaces de loisirs institutionnalisés : centres de loisirs sans hébergement, centres de vacances avec hébergement, autres espaces dédiés aux pratiques récréatives, culturelles, sportives, etc.
- Les espaces publics ouverts (squares, jardins, rues, etc.)
Tout se tisse, par exemple les temps éducatifs se répartissent sur plusieurs espaces éducatifs :
- le temps dédié au travail scolaire se déroule surtout à l’école, mais aussi en famille ou dans les locaux d’une association ;
- les temps libres sont vécus surtout en famille, mais aussi dans les équipements de loisirs, culturels ou sportifs, sans oublier les espaces publics pas ou peu aménagés (temps des plus discriminants qui se répercutent sur le temps scolaire) ;
- les temps de sommeil sont surtout pris en famille, mais aussi à la crèche, à l’école (sieste en maternelle) et parfois même pendant les cours !
Bien connaître les divers espaces éducatifs permet :
- de donner un sens large au concept d’éducation (qui ne se résume ni à l’éducation familiale, ni à l’Éducation nationale) ;
- de souligner et d’identifier la diversité des acteurs de l’éducation ;
- de prendre conscience de la fréquente proximité géographique de ces acteurs ;
- de s’interroger de ce fait sur la pertinence de leurs cloisonnements, qui n’est pas toujours bénéfique pour les enfants ni même pour les adultes, surtout lorsqu’elle suscite des querelles de territoires et des rivalités.
Ce qui donnerait une Éducation bien équilibrée !
Et la réforme des rythmes, elle n’y a pas contribué ?
Pas vraiment, car elle ne prend pas en compte le temps de l’enfant dans sa globalité, il le réduit à la journée et à la semaine scolaire. Pourtant, le temps de l’enfant, c’est tous les jours, toutes les semaines, toute l’année. Ce temps devrait pouvoir s’étendre tranquillement sans pression, sans discordances avant, entre et après l’école, vacances comprises. Et on en est très loin avec les différents PEDT. Les activités proposées n'ont aucune cohérence entre elles, le quantitatif est privilégié au qualitatif... et tous les enfants n'y participent pas.
En tant qu'enseignante, en tant que militante pédagogique, je souhaite bien sûr que tous les espaces que traverse l'enfant, que tous ses temps de vie et d'apprentissage soient en cohérence et irrigués par les valeurs et les principes de la pédagogie Freinet.
Il y a le CAPE (Collectif des Associations Partenaires de l'École publique), bien sûr, qui rassemble les acteurs de ces temps éducatifs dans et hors l’École. Il pense et il construit collectivement, mais ce n'est pas suffisant si chaque organisation ne permet pas à ses militants de penser et de construire collectivement. Chacune d'elles propose des formations. On pourrait imaginer des moments communs, cela s’est fait, se fait et peut se faire plus souvent.
Des formations à l'interne, mais aussi à l'externe pour que les enseignants, éducateurs et animateurs mutualisent leurs expériences, participent à des stages dans des classes et dans des structures éducatives, que ce soit en formation initiale ou en formation continue. On peut aussi rêver d'universités d'été, de journées d'étude communes !