20 janvier 2016
Interpellation de Naja Vallaud-Belkacem après la présentation de son plan pour lutter contre les inégalités scolaires : « Les parcours d'excellence pour les collégiens des réseaux d'éducation prioritaire (REP+) volontaires de la troisième à la terminale ».
Madame la Ministre, après la lecture de votre projet « Les parcours d'excellence pour les collégiens des réseaux d'éducation prioritaire (REP+) volontaires de la troisième à la terminale » sur le site de votre ministère, je ne peux que formuler cette appréciation : de bonnes intentions charitables, mais pas de remise en cause de la fameuse « égalité des chances » ; ce qui implique que ceux qui ne réussissent pas leur parcours scolaire, ce sont toujours ceux qui ne méritent pas ou qui sont trop éloignés des valeurs et de la culture transmise par l’École. L’échec serait donc de la responsabilité de l’élève et de sa famille.
Pourtant dès le début du 20e siècle, les pédagogues de l’Éducation nouvelle déclaraient déjà que si un seul enfant ne s’adaptait pas au système ce n’était pas l’enfant qui était inadapté, mais le système. Au début de ce 21esiècle, nous n’avons guère avancé, mais « il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre ! » dans l'éducation, comme ailleurs.
Le mérite est « une valeur essentielle » et « donner aux élèves l'opportunité de réussir » sous la base d’un volontariat sont les idées porteuses de votre projet. En quelques mots, vous donnez l'opportunité de réussir à ceux qui le méritent et le souhaitent. Ce qui réduit considérablement sa voilure !
Bien sûr, Madame la Ministre, les familles des quartiers des réseaux d'éducation prioritaire ne connaissent pas tous les codes et les ficelles pour s’orienter dans les méandres des filières et qu'elles peuvent penser que certaines formations ne sont pas pour leurs enfants. Néanmoins, c'est une donnée commune à beaucoup de familles populaires en France et pas seulement en REP. Et quand elles se laissent persuader et choisissent des voies plus renommées, l’échec y reste très présent pour leurs enfants, comme de nombreuses études le soulignent.
En effet, découvrir la face cachée du système éducatif quand son enfant entre en troisième, n'est-ce pas un peu tard ?
Il faut être réaliste, c'est dès la petite enfance que les inégalités sociales creusent les différences.
La sortie au musée en classe de troisième ne comblera pas le fossé entre l'enfant qui a eu accès par sa famille – et dès son plus jeune âge – à la culture reconnue par l’École (musique, théâtre, danse, cinéma, musées, séjours dans différentes régions où pays...) et celui qui n'a eu que le club de foot, les sorties au centre commercial ou pire les bas d'immeubles.
Un « parcours d’excellence » sur la base du volontariat !
Qui sera volontaire ? L’élève qui bûche depuis quelques années, celui qui a de bonnes notes, ceux qui sont soutenus par leur famille persuadée de l'importance de l'école ?
Et tous les autres ?
Pourquoi n'auraient-ils pas accès aux sorties culturelles, aux partenariats avec les universités et les grandes écoles, à la connaissance du monde de l'entreprise ?
Alors, Madame la Ministre, puisque vous êtes sensible aux inégalités au lieu de réserver cet accès à quelques-uns, révélez à tous les secrets de l'excellence !
Offrez à tous les élèves « des univers dont ils n'avaient souvent qu'une idée vague et confuse ».
Et au lieu de « donner à ceux qui le veulent les moyens de réussir ou d'exceller dans la voie qu'ils ont choisie », permettez à tous de réussir, de se découvrir, de s'épanouir dans la voie qu'ils choisissent.
Oui, comme vous dites, la motivation ne s'impose pas, mais pas plus en troisième, qu'en seconde... c’est bien trop tard.
C'est dès les premiers jours d'école que l'enfant va comprendre que « ce n'est pas pour moi », et pas seulement en REP !
C'est le plus tôt possible qu'il faut offrir des situations humaines et pédagogiques dans et hors l'école, pour montrer à cet enfant que, OUI c'est possible, d'apprendre, de comprendre le monde, de trouver sa place dans un groupe – que ce soit dans celui de la classe, de l'école, du centre de loisirs... –, OUI c'est possible de se projeter, d'avoir confiance en soi et dans les autres.
Ces situations humaines et pédagogiques vous en lister quelques-unes : travail en groupe, en tutorat, travail individualisé, aide au travail personnel, visites culturelles, rencontres de personnalités, connaissance du monde social, économique, renforcement du continuum scolaire, etc.
Pourtant ces situations et bien d'autres existent dès l'école maternelle lorsque des enseignants convaincus de l'efficacité des pédagogies de l'Education nouvelle peuvent l’exercer. Des pratiques méconnues dans les espaces et les temps de formation et donc peu présentes dans les écoles publiques, voire rejetées par certains de vos cadres sur le territoire.
Madame la Ministre, ce n'est pas en prélevant les meilleurs élèves des collèges pour des parcours d'excellence que les inégalités scolaires diminueront dans vos établissements.
C'est en offrant des parcours scolaires respectueux de chacun et ambitieux pour tous, que l’École changera.
C'est en reconnaissant et valorisant toutes les voies professionnelles que chaque jeune se sentira bien dans son choix et non relégué et considéré en échec.
Oui un parcours d’excellence pour tous, c’est possible, c’est l’École de la République, si elle porte enfin des objectifs d’éducation populaire
- Le blog de Catherine Chabrun
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