17 Juillet 2017
Certains voudraient restaurer l'autorité de l'enseignant en réinstallant des estrades dans les classes (Julien Damon, dans Le Point ce 17 juillet). Une mesure symbolique écrit-il, et pourtant le symbole était tout autre après la Première Guerre mondiale...
Quand Célestin Freinet revient de la guerre de 14-18, il entend partout autour de lui : c’est la « der des der », le « plus jamais ça »... et comme de nombreux autres pédagogues, il évoque la responsabilité de l'école de la République dans l'endoctrinement patriotique qui a conduit des millions de jeunes Français à trouver la mort. Il faut donc une autre école, une autre pédagogie, c'est cette espérance qui a porté ces pédagogues et avec eux sont nés différents courants pédagogiques qui ont constitué l'Education nouvelle.
Freinet constate que malgré son anticléricalisme affiché, l'école laïque a conservé la « chaire » sous la forme de l'estrade et le « catéchisme » sous la forme du manuel scolaire.
Il décide de combattre ces deux symboles.
L’estrade : l'enseignant, seul adulte au milieu d'un groupe d'enfants, est déjà par sa taille, son âge, celui qui domine, mais le placer au dessus des pupitres des élèves permet de leur faire comprendre que tout ce que dit le maître est forcément le plus important et qu’il peut tout voir et sanctionner.
La décision de Freinet de s'installer parmi les enfants, de supprimer ou de transformer l'estrade introduit une nouvelle forme de l'éducation et un autre regard de l’enseignant sur l’enfant.
Le manuel scolaire : son rejet montre une nouvelle conception des apprentissages. Freinet vise la production de contenus par les élèves (Bibliothèque de travail, revues documentaires, exposés, etc.). Le manuel peut alors prendre place aux côtés des productions de la classe, des dictionnaires dans la bibliothèque, il devient alors une ressource complémentaire et non l'outil unique.
Pour Freinet, c'est aussi permettre à chaque enfant de devenir acteur et auteur de ses apprentissages.
Célestin Freinet, dans Les invariants pédagogiques[1] ?
Être plus grand ne signifie pas forcément être au-dessus des autres.
Invariant n° 2
Vous êtes grand de taille et, de ce seul fait, vous avez tendance à considérer comme inférieurs ceux qui sont au-dessous de vous. C'est une sorte de sensation, disons physiologique qui est à l'opposé de la sensation du vide vertigineux lorsqu'on est au balcon d'un 8e ou sur un pic surplombant la vallée. C'est dire que tout le monde éprouve cette sensation. Il faut en prendre conscience et vous en défendre parce qu'elle vous trouble et vous égare.
Vous êtes plus grand que vos élèves. Cela ne vous suffit pas encore. Il faut que vous montiez sur une estrade pour assurer votre supériorité.
Ce sont là des impressions, des sentiments qui handicapent beaucoup plus qu'on ne croit tous les candidats à la pédagogie moderne.
C'est pour vous engager à vous défaire de ce vertige que nous préconisons dès l'abord un certain nombre de gestes symboliques et pourtant déterminants de l'évolution indispensable.
-Supprimez l'estrade : Vous serez, du coup, au niveau des enfants. Vous les verrez avec des yeux, non de pédagogues et de chefs, mais avec des yeux d'hommes et d'enfants, et vous réduirez tout de suite de ce fait, l'écart dangereux qui existe, dans les classes traditionnelles, entre l'élève et le maître.
-Si, pour des raisons administratives, vous ne pouvez enlever l'estrade pour en faire par exemple une table d'exposition et de travail, nous vous recommandons du moins de détrôner le bureau du maître, de le mettre au niveau des enfants, à un endroit où il ne gêne pas, et pas forcément devant les enfants.
L'estrade et la chaire sont des éléments indispensables de la pédagogie traditionnelle où le verbiage est roi, avec les leçons, les explications, les interrogations qu'on pratique effectivement avec d'autant plus d'autorité et d'efficience qu'on n'est pas au niveau de ceux qui écoutent.
Ajoutons que la position de lutte entre maîtres et élèves nécessite pour la surveillance, l'autorité et la discipline cette surélévation matérielle et symbolique.
Mettez-vous au niveau de vos élèves. Vous pénétrez de plain-pied dans la pédagogie moderne. Vous serez amené vous-mêmes à réfléchir et à commencer la reconsidération de vos attitudes et de votre comportement pédagogique.
[1] Les invariants pédagogiques, Bibliothèque de l’Ecole moderne n° 2, 1964 : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/les-invariants-pedagogiques#.%20La%20nature%20de%20l%27enfant