7 Décembre 2017
Depuis mardi, les résultats de l’étude Pirls 2016 ont fait parler, écrire, commenter nombre de personnes plus ou moins proches de l’éducation.
Ayant été sollicitée par France Info pour donner mon avis au 13 h, j’ai donc eu accès à cette étude.
Et bien sûr, j’en ai fait une lecture personnelle…
Cette étude concerne les élèves de 4e année (CM1) de 50 pays en lecture (un large éventail des compétences de base à la compréhension avancée).
Les compétences de base sont acquises pour la moitié des pays. Si 11 pays se sont améliorés, deux ont décliné dont la France (En 2001, 525 points et en 2016, 511 points)
La France a de bons résultats pour les compétences de bases, mais elle échoue dans la compréhension avancée.
Les élèvent français savent déchiffrer, lire des textes, mais ne peuvent en extraire les informations plus complexes
Le contexte en France
Quand les enfants de CM1 de 2016 entrent à l’école, il y a les programmes de 2008 et la semaine de quatre jours. Des programmes recentrés sur les « fondamentaux » administrés aux élèves en couches simples et ainsi évacuer la complexité, la transversalité… Le tout en 24 heures compartimentées, morcelées en disciplines et sous- disciplines.
Ainsi en France, 40 % des heures de cours (20 % en moyenne pour les pays de l’OCDE) sont consacrées à l’étude de la langue.
Même si en 2013, la semaine de quatre jours et demi est remise en place, les élèves français n’ont que 162 jours d’école (le plus bas des pays de l’OCDE) pour un nombre d’heure de cours plus élevé que la moyenne, soit 864 h.
Un autre constat, le nombre d’élèves est plus important par classe que dans les autres pays : 23 en moyenne au primaire et 25 au collège contre 21 et 23 pour les autres pays de l’OCDE.
Des résultats qui devraient faire réfléchir tous les acteurs de l’éducation
Petit résumé
1. Les « bons lecteurs » (compréhension avancée) ont des environnements familiaux qui pratiquent, encouragent, soutiennent les activités de lecture :
- La présence de livres, d’appareils numériques
- Des parents qui lisent, aiment lire et qui soutiennent les activités de lecture de leurs enfants : 39 % des « bons lecteurs » ont des parents qui déclarent souvent engager leurs enfants dans des activités telles que lire, parler ou chanter, leur raconter des histoires et leur apprendre à écrire des lettres alphabétiques.
- Un bon niveau d’étude des parents
2. Les « bons lecteurs » ont un début précoce de la lecture
- avec des parents qui les impliquent tôt
- assister à l’éducation pré primaire
Ainsi dès l’entrée en primaire, ces enfants sont en capacité d’entrer dans une méthode de lecture.
3. Les « bons lecteurs » sont dans des écoles bien financées, « renommées », bien « situées » avec :
- des milieux plus aisés
- des enfants préparés (famille, école maternelle)
- nombre élevé d’enfants ayant des compétences élevées en lecture et écriture dès la 1ère année
4. Le climat scolaire : sentiment de sécurité, environnement ordonné, sans problèmes de discipline, de discrimination et où les enseignants se sentent bien
5. Un enseignement de la lecture prioritaire avec des enseignants bien formés et qualifiés. De longs temps consacrés à la lecture avec des facilités d’accès aux bibliothèques
6. Une fréquentation régulière de l’école avec des enfants en bonne santé, reposés et pas affamés…
7. Que les enfants aient des attitudes positives envers la lecture. On sait que mieux on lit plus on lit…
Qu’ils aient confiance dans leur lecture, dans leur capacité à lire
8. Les « bons lecteurs » lisent aussi bien en ligne que sur un livre ce qui favorise l’autonomie de navigation, la rapidité et permettent recherches, documentation, information…
Pour moi, les trois points indispensables à traiter rapidement
1. Les environnements familiaux déterminants
L’école ne prenant pas en compte les différents environnements familiaux de ses élèves, elle est de plus en plus inégalitaire. En effet, les enfants ne bénéficiant pas d’un environnement familial privilégié sont de plus en plus nombreux et se retrouvent de fait exclus de cette compétence experte de lecture.
En France, l’apprentissage de la lecture comme celui de toute l’étude de la langue se réduisent à des techniques, à des exercices. L’école ne cherche pas à développer un environnement favorable à la lecture, même si heureusement certains enseignants le font. Et les nouveaux projets ministériels ne vont pas dans ce sens. L’élève (comme le professeur d’ailleurs) doit être un bon technicien, mais pas un ingénieur et encore moins un chercheur !
Pour certains élèves, les « bons lecteurs », ce n’est pas grave puisqu’ils sont initiés ailleurs…
Ces « bons lecteurs » pourront lire et comprendre le monde et donc peser sur lui pendant que les autres le déchiffreront pour le servir !
Monsieur le ministre, vous qui dites vouloir lutter contre les inégalités scolaires, offrez à tous les enfants des environnements qui favorisent la lecture et son inséparable l’écriture : adultes qui lisent et aiment lire, présence de nombreux livres, narration d’histoires qu’elle soit faite par un adulte ou un enfant, temps nombreux de lecture et d’écriture personnelle, accès aux bibliothèques, participation des parents…
Mais bien sûr, il faut un emploi du temps qui le permette et passer moins de temps aux seules techniques… Et ceci dans toutes les classes avant et après le CP, car la lecture et la compréhension de textes traversent toutes les disciplines et débordent largement les heures d’étude de la langue…
Et comme l’enfant dès son plus jeune âge traverse de nombreux espaces éducatifs, il faut y développer ces environnements favorables à la lecture.
Ce qui demande une formation initiale et continue sur la lecture ambitieuse pour tous les professionnels de l’éducation.
2. Les établissements
Les « bons lecteurs » sont plutôt dans les établissements bien situés, bien financés, renommés…
Les écoles sont à l’image du quartier qui les entoure, certaines ont une majorité d’enfants aux environnements familiaux favorables et aux familles aisées ou d’autres ont une majorité d’enfants aux environnements non favorables et aux familles en difficulté. La reproduction sociale et culturelle est garantie !
Pourtant l’étude montre qu’un nombre suffisant d’enfants ayant des compétences élevées en lecture et écriture profite à tous les élèves d’une classe.
Tant que toutes les difficultés (scolaires et sociales) seront rassemblées dans une même école, le « bon climat scolaire » avec sentiment de sécurité, d’appartenance et problèmes de discipline maîtrisés sera difficile à réaliser. Et pourtant le sentiment de bien-être, tant pour les enfants que pour les adultes est indispensable pour apprendre et enseigner. Du coup, les enseignants expérimentés et qualifiés évitent les établissements des quartiers difficiles.
Et tant que les familles de même classe sociale vivront dans le même quartier, l’hétérogénéité (scolaire et sociale) sera difficile à réaliser à moins qu’un système d’inscription scolaire le permette avec bien sûr une mise en place de déplacements d’élèves.
Redéfinir la carte scolaire, un défi à réaliser !
3. L’état de santé et de pauvreté des enfants.
Il est difficile d’apprendre quand on est mal logé, quand a mal dormi, quand on a faim, quand on a froid, quand les problèmes de survie l’emportent sur tout le reste et ne permettent pas de fréquenter l’école régulièrement. Une concertation nationale « pour une stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes » est lancée. Espérons que des préconisations concrètes verront le jour rapidement et que ce ne seront pas seulement de beaux discours donnant bonne conscience.
Un tournant politique et économique à 180° est-ce possible ? Je ne suis pas très optimiste.
Pour l’instant, je n’ai pas entendu notre ministre répondre à ces points indispensables.
La dictée quotidienne, une technique de plus.
Les louanges de la méthode syllabique, des techniques de plus.
Quelques mesures de soutien, d’aide aux élèves avec des techniques de compréhension.
Mais pas de réflexion globale sur la lecture pour tous les enfants partout et sur tous les temps éducatifs.
Attendons le « plan mercredi »…
L'étude Pirls 2016:
http://pirls2016.org/pirls/summary/