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Education, droits de l'enfant, écologie, société...

Petite histoire des méthodes de lecture

Petite histoire des méthodes de lecture

Si l’on se réfère aux historiens de l’Antiquité, l’apprentissage de la lecture s’est toujours faite de manière synthétique : les élèves commençaient par apprendre les voyelles (associées chez les Grecs aux sept notes des sphères célestes), puis les consonnes ; ensuite les syllabes (B-A BA) – d’où le nom de méthode syllabique –  pour former des mots puis enfin des phrases. Méthode bien connue, n’est-ce pas, qui renaît régulièrement de ses cendres, méthode unique jamais remise en cause jusqu’aux débuts du XXe siècle.

Un petit hommage cependant à un précurseur, un certain Nicolas Adam, qui écrivit en 1787 : On les tourmente pour leur faire connaître et retenir un grand nombre de lettres, de syllabes et de sons où ils ne doivent rien comprendre parce que ces éléments ne portent avec eux aucune idée… Lorsque vous voulez faire connaître un objet à un enfant, par exemple un habit, vous êtes-vous jamais avisé de monter séparément les parements, puis les manches, ensuite les devants, les poches, les boutons, etc. ? Non sans doute ; mais vous lui faites voir l’ensemble et vous lui dites : « Voilà un habit. » … Adam inventera alors une méthode  ayant pour point de départ le mot. Mais il n’est pas suivi, les esprits ne sont pas encore prêts.

Que s’est-il donc passé au XXe siècle pour que cette méthode ancestrale du B-A BA commence à être remise en question et que les enseignants d’alors cherchent de nouvelles méthodes ? C’est que, à une époque qui veut l’éducation pour tous, on s’aperçoit que, malgré tout le temps passé par l’école obligatoire à l’apprentissage de la lecture, les Français ne lisent pour ainsi dire pas. La majorité d’entre eux savent certes déchiffrer, mais ne sont pas lecteurs. Pire : la plupart ne comprennent pas quand ils « lisent ».

La psychologie cognitive fait dans le même temps de grands progrès. Des chercheurs (Claparède entre autres) comprennent que dans tout apprentissage, l’esprit ne va pas du simple au complexe, comme on aime à le répéter alors, mais des ensembles aux éléments : le  cerveau humain fonctionne d’abord par dissociations (ou analyses) et non d’emblée par associations (ou synthèses).  Et cela est encore plus vrai en ce qui concerne le jeune enfant.

Vient donc l’idée, en ce qui concerne la lecture, de partir de petits textes simples que le jeune lecteur décomposera peu à peu, et de manière spontanée, en phrases, puis en mots, en syllabes et en lettres. Tel est le principe d’une nouvelle méthode que l’on nommera globale (ou analytique) qui est principalement rattachée au nom de Decroly, médecin belge qui travaillait avec des enfants en difficulté. Le grand avantage de cette manière de faire est que, partant d’un texte à la portée des enfants, la notion de lecture reste centrée sur le sens de ce qui est lu, et partant, sur le plaisir de lire. Ainsi veut-t-on créer de véritables lecteurs (qui comprennent ce qu’ils lisent), et non de simples « liseurs ».

Freinet va travailler pleinement dans la voie ouverte par les Genevois :

« Dorénavant, l’enfant n’est plus condamné à ajuster désespérément les éléments muets et morts d’un puzzle auquel il ne saurait peut-être plus insuffler la vie. Finis les : papa a puni toto..., Nicolas a tiré le loto... Il n’y avait plus nécessairement divorce entre technique d’une part, sensibilité et intelligence d’autre part.

Mais la scolastique, qui pervertit toutes choses, ne se tenait pas pour battue. Elle allait repartir à l’assaut de la vie qui, un instant, avait entrouvert les portes de l’École (...)

Le Dr Decroly avait montré, par ses observations et expériences, que l’enfant est capable d’appréhender le mot et la phrase avant d’en distinguer les éléments constitutifs, mais à condition bien sûr que cette phrase soit insérée intimement dans le contexte de vie des individus.

Quand on écrit au tableau et imprime : “ Avec une pile et une ampoule, Mimile nous fait de la lumière ”,les mots sont intégrés naturellement, sans passe-passe scolastique, dans une pensée et un événement vécus. Ils s’inscrivent de ce fait, naturellement, et avec un maximum de sûreté, dans le complexe d’acquisition et de vie. (...)

L’École a pris dans la méthode globale la mécanique, mais elle a oublié la vie.

Si l’enfant ouvre son manuel et lit cette phrase pourtant apparemment active “ Toto est content, son papa l’emmène à la pêche ”, il essaie de bien photographier l’ensemble, mais il ne reconnaît rien parce qu’il n’est pas allé à la pêche. D’ailleurs l’École sentant justement la faiblesse de cette méthode hybride, a prévu une illustration qui est là pour apporter un ersatz de vie. Ce n’est, hélas ! qu’un ersatz. On a jeté des fondations mais on a oublié d’y couler le mortier. Il manque à notre texte la chaleur de l’évènement qui aurait inséré normalement la phrase dans une expérience individuelle ou collective. (...)

A Genève comme à Bruxelles d’ailleurs, on a édité des manuels de lecture globale. On a prévu des textes illustrés que l’enfant doit lire globalement. Mais on a vite senti la nécessité d’aider prématurément ce processus naturel, par un recours à la lecture analytique. Et sont nées ainsi, en Suisse et ailleurs, des méthodes mixtes qui ne sont qu’un amalgame sans vertu. »[1]  

Cette méthode globale pure, ou l’enfant décompose spontanément les textes pour découvrir les lettres et qui doit durer, selon Decroly, sur une période de trois ans, ne sera en fait jamais appliquée en France. Certes les tenants d’une nouvelle méthode partiront bien d’un texte qui sera décomposé en mots, syllabes et lettres (analyse) ; mais tout aussitôt (en quelques semaines) on apprendra aux enfants à recomposer les lettres en d’autres syllabes, elles-mêmes recomposées en nouveau mots (synthèse) : ce qu’on dénommera la méthode mixte. Mais ce qui importe, c’est que cette méthode mixte retient de la méthode globale l’idée majeure que, si l’on veut faire des lecteurs, il faut partir de l’intelligence du texte. A aucun moment, ce qui est lu ne doit être privé de sens pour l’enfant.

Mais dès ses débuts officiels (après guerre), tout comme aujourd’hui, la méthode globale, jamais donc intégralement mise en œuvre, sera en butte à d’incessantes attaques qui ne cesseront d’augmenter.

Et déjà en 1959 Freinet écrivait à ce sujet « La méthode globale, cette galeuse ! » :

 « Il faut dans toute période difficile trouver un bouc émissaire. La Méthode Globale est aujourd’hui responsable de tous les maux dont souffre l’École. Si les enfants lisent moins bien qu’autrefois, c’est la faute à la Méthode Globale.

S’ils manquent d’attention et de concentration dans leurs devoirs, s’ils font trop de fautes dans leurs dictées ou dans leurs lettres, c’est évidemment la méthode globale qui en est la cause.

La discipline elle-même, et donc la marche générale des établissements, en sont affectés. Qu’on revienne donc à la bonne règle préalable du B-A BA et aux exercices méthodiques ; qu’on enseigne les bases avant d’aborder le tout, et l’éducation refleurira. L’État sera sauvé.

Évidemment, ceux qui prononcent avec tant d'assurance ces condamnations définitives ne savent pas même ce que sont les méthodes globales. Ils ignorent sans doute que ces méthodes ne sont pratiquées intégralement dans aucune école française, et que nous n'avons en France aucun manuel de méthode globale. Partout, dans toutes les écoles, on débute bien par ce qu'on croit être le commencement : le mot, la syllabe, les lettres avec seulement quelques appels timides à la compréhension naturelle d'ensemble qui occupent bien souvent dans les processus d'apprentissage non scolaire la première place.

La méthode globale n’est employée dans aucune école française comme méthode de base, mais n’est pas moins déclarée responsable d’un désordre et d’une carence dont parents et éducateurs commencent à prendre heureusement conscience. » (L’Éducateur n° 19, supplément à, juillet 1959)

En effet, les petits Français d’alors devenus grands, sont  loin d’être des champions de la lecture. C’est bien sûr « la faute à la globale », mais c’est un bien mauvais procès qui lui est fait, parce que les méthodes mixtes préconisées alors sont encore bien peu appliquées ; et si elles le sont, elles n’en ont que le nom : après certes un démarrage à partir d’un petit texte, presque immédiatement, elles font du forcing sur le syllabique. C’est pourquoi des enseignants tels que Montessori, Ferrière, Cousinet, soutenus par des psychologues (Wallon, Piaget), cherchent à parfaire une méthode qui ferait de véritables lecteurs. Elles perdureront difficilement, à de rares exceptions près comme la Méthode naturelle de Freinet.

Le mépris, voire l'interdiction des pratiques pédagogiques qui ne lui plaisent pas par certains inspecteurs zélés sont à craindre...

Et  la réduction de la lecture à une mécanique aux outils obsolètes, sans aucun doute !

 

 

Une publication de Freinet (1961) : Méthode naturelle de lecture : 

https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/18276


[1] C. Freinet, « La méthode naturelle : apprentissage de la langue », extrait des œuvres complètes, éditions du Seuil, tome 2

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