29 Août 2019
Nous disons Techniques Freinet et non Méthode Freinet pour bien montrer qu'il ne s'agit pas ici d'une construction théorique et idéale mais d'une nouvelle technique de travail qui a l'avantage d'être née, d'avoir été expérimentée et d'évoluer dans le cadre de nos classes. Cette technique nécessite, comme toutes les techniques, une portion plus ou moins décisive de considérations pédagogiques ou philosophiques, mais surtout des outils de travail adéquats, des conditions de travail satisfaisantes, la préparation ou la rééducation des ouvriers spécialisés que sont les éducateurs.
A l'expérience d'ailleurs, ces techniques nous ont préparés à dégager les principes de base, qui permettent aux non initiés de comprendre et d'apprécier la portée de nos travaux dans le complexe de la pédagogie contemporaine.
Ce sont ces techniques, ces principes et la méthodologie correspondante que nous allons aborder brièvement, en nous appliquant surtout à montrer le sens et l'esprit qui doivent présider aux formes nouvelles de travail.
L'ENTREE EN CLASSE
COMMENT LE MILIEU SCOLAIRE PEUT-ÊTRE UNE SUITE NATURELLE DU MILIEU FAMILIAL ET SOCIAL.
En toutes circonstances, et pour toutes les disciplines nous partons toujours de la vie de l'enfant dans son milieu.
Les enfants arrivent à l'école. Il faut éviter à tout prix qu'ils se dédoublent et se dépersonnalisent en en franchissant le seuil, la pensée et l'affectivité de l'enfant restant à la porte, l'écolier pénétrant dans la classe qui lui impose ses normes.
Pas de salut obséquieux, pas d'alignement militaire. L'enfant qui sait à quel point l'Ecole continue la vie, arrive les yeux vifs, la bouche confiante, les mains pleines des richesses qui l'ont arrêté en chemin. C'est la vie dans toute sa complexité qui vient battre comme une marée invincible les murs et la porte de l'Ecole.
Nos élèves ont tant à dire, tant de questions à poser, tant de renseignements à obtenir, tant de « glanes » à montrer : bouquets de fleurs, fruits nouveaux, insecte ou serpent, roche ou fossile, livres et brochures.
Toute cette richesse, ce sera la nourriture de base de notre Ecole elle n'est certes pas neutre, méthodique et froide comme celle des manuels, elle nous pose d'emblée une infinité de problèmes que les programmes et les manuels n'ont pas prévus, mais pour lesquels il nous faudra pourtant trouver une solution. Mais c'est une nourriture vivante encore chaude et palpitante pourrions-nous dire, donc plus digestible et qu'il nous faudra nous garder d'entraver ou de falsifier. Elle est une nourriture naturelle dont nous devons bénéficier à 100 %.
LE TEXTE LIBRE OPERE LA LIAISON FONCTIONNELLE ET AFFECTIVE ENTRE LA VIE ET L'ECOLE.
Selon les méthodes traditionnelles, toutes connaissances et toute science sont incluses dans le cerveau du maître ou dans les livres. Pour y accéder, l'Ecole a prévu une infinité de méthodes, de procédés et de trucs dont l'ensemble constitue ce que nous appelons la scolastique. Ni les parents, ni les éducateurs n'osaient imaginer que ces connaissances et cette science soient latentes ou formelles dans l'expérience enfantine et que, en partant de cette expérience, par une série d'escaliers familiers, on puisse accéder à une culture qui en serait l'aboutissant et le sommet. On était persuadé que, au niveau de l'école, une porte restait à ouvrir, de gré ou de force, et qu’en deçà était la nuit, et au-delà seulement la lumière ou les premières clartés de l'aube.
Nous avons prouvé par notre expérience largement répercutée qu'une éducation efficiente est possible sur la base de la vie enfantine, que cette éducation est aujourd'hui techniquement réalisable, non seulement dans quelques classes privilégiées, mais dans toutes les classes, dans tous les pays et avec toutes les langues.
Avec de tout jeunes enfants, qui abordent l'Ecole pour la première fois, nous nous garderons attentivement de leur présenter d'emblée la matière scolaire des livrets de lecture ou des manuels de calcul, surtout lorsque les textes en sont écrits dans une langue qui n'est pas la leur et qui ne leur paraît à l'origine que comme une incompréhensible mécanique.
Nous laissons les enfants parler, dans leur langue, en évitant d'affecter leur confiance et leur élan par d'inutiles observations pédagogiques; nous les encourageons dans les directions qui nous paraissent les plus originales et les plus constructives.
Nous donnons en même temps aux élèves papier et crayon et nous les laissons dessiner librement. Dans ce domaine aussi il faut nous persuader qu'il n'y a pas, à un moment donné, une porte qui s'entrouvre sur la technique adulte et à laquelle on n'aurait accès qu'à force de leçons méthodiques et d'exercices scolastiques. Les progrès en dessin, comme en écriture et en lecture se font par tâtonnement expérimental. Les premiers graphismes encore informes vont se perfectionner selon des processus que nous avons précisés dans notre livre : Méthode Naturelle de Dessin (Voir également : La Méthode Naturelle – l’apprentissage de la langue, C.Freinet, Edition Delachaux, en vente à CEL, Cannes) et qui conduisent l'enfant, par la création et la vie, à des formes d'expression artistique qui sont comme un palier bénéfique entre la vie intime et les exigences du milieu scolaire.
L'enfant explique son dessin, ou du moins parle en dessinant, le dessin n'étant à ce stade que le plus subtil des langages.
Les premiers contacts sont pris pour un bon départ.
En une dernière étape, nous détecterons, parmi l'ensemble des pistes nées du langage ou du dessin, un élément majeur que nous mettrons en valeur dans un premier texte libre.
On nous a demandé parfois s'il n'y avait pas lieu d'indiquer un sujet pour orienter le travail et donner des idées aux enfants. Une telle préoccupation laisserait croire qu'on n'a pas dépassé l'ancienne pédagogie et qu'on sous-estime totalement la richesse merveilleuse des vies enfantines.
Célestin Freinet
Conseils aux jeunes, Bibliothèque de l’Ecole moderne n° 54 – 55, 1969
Pour lire le recueil en entier : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/18363?