21 Juillet 2019
Dans la suite du Programme du Conseil national de la résistance dans L'Éducateur, n° 2, 15 mars 1945
C'est pour que la France puisse durer, continuer et se perpétuer que la Résistance s'est organisée et a lutté. Cette perpétuation est le souci essentiel de toute société. Elle nécessite qu'on accorde au problème de l'enfance et de la jeunesse une attention de tout premier plan. (15 mars 1945) C’est toujours par l'action qu'ils ont imprimée à l'éducation de la jeunesse que les peuples ont orienté leur destinée.
Hitler avait fanatisé sa jeunesse qui s'est horriblement sacrifiée pour le servir.
Mussolini avait mobilisé ses « balllila ».
L’U.R.S.S. a vaincu parce que, depuis 20 ans, elle a formé démocratiquement sa jeunesse populaire.
La France sera demain ce que l’aura faite l'école que nous allons instituer.
Nous présentons, en conséquence, le rapport succinct ci-dessous qui, à notre avis, pourrait et devrait servir de base à un Grand Congrès Educatif a convoquer d'urgence, avec la participation non seulement du personnel enseignant mais aussi des représentants populaires de la Résistance.
Principes essentiels de l'éducation populaire
1°) Tout enfant a droit à la santé et à la vie.
Il doit, en conséquence, recevoir, même si ses parents ne peuvent les lui procurer :
- l'alimentation et le vêtement ;
- l'air ;
- les soins qui lui permettront de se développer normalement.
Cette préoccupation suppose la création en France :
a) d'un réseau de clinique d'accouchement, de crèches, pouponnière, goutte de lait, pour que tout enfant puisse recevoir, au cours des premières années de sa vie, les soins qui lui sont indispensables
b) l'amélioration systématique et méthodique des logis populaires, non seulement à la ville mais aussi à la campagne ;
c) la surveillance médicale sérieuse des produits alimentaires pour enfants ;
d) la création en France, à la ville comme à la campagne, d'un réseau de stades, de parc de repos et de jeux, de colonies de vacances, de maisons d'enfants susceptibles d'assurer un maximum de santé à l'ensemble des enfants de France.
2°) Tout enfant a le droit de développer au maximum ses facultés, de tirer de ses aptitudes le meilleur parti possible pour le service de la nation.
a) L'école ne doit donc être totalement gratuite et obligatoire jusqu'à 14 ans, cette gratuité s'étendant non seulement à l'admission dans les écoles, mais aussi aux frais divers que cette admission représente, sans oublier le manque à gagner pour les enfants de 12 à 14 ans.
b) à partir de 14 ans, doit commencer la spécialisation, selon les aptitudes de chaque élève.
-Les uns s'initieront un métier manuel ou à une activité technique-ce qui n'exclut pas la continuation de la culture générale ;
-les autres suivront des cours technologiques ;
-d'autre aborderont les études plus abstraites pour l'accession aux fonctions réservées à l'élite populaire.
Un système de travail, partie dans les entreprises, partie à l'école, doublée d'une organisation rationnelle de bourses permettra aux enfants de s'élever au maximum, selon leurs aptitudes, quelles que soient leurs conditions de fortune.
3°) les méthodes scolaires doivent être modifiées et adaptées aux possibilités nouvelles nées des techniques modernes.
La scolastique moyenâgeuse est aujourd'hui dépassée. Les techniques scolaires doivent être profondément modifiées et basées non sur les leçons et les devoirs traditionnels mais sur le travail actif, conçu dans toute sa complexité formative.
Les écoles devront sans retard être adaptées à ces nouvelles techniques, les programmes remaniés, les examens à reconsidérer, les livres modifiées dans leur structure, dans leur contenu et dans leur emploi. Les instituteurs recevront une formation les préparant à la nouvelle pédagogie populaire ; les instituteurs en exercice seront invités à des cours spéciaux les préparant au travail nouveau, seul susceptible de former les générations efficientes qui assureront la renaissance de la France.
On ne fait pas du neuf avec de vieilles techniques : si la France veut conserver son rang elle doit hardiment briser les chaînes séculaires qui ont fait sa grandeur jadis mais qui gêne aujourd'hui son évolution.
L'école du peuple devra utiliser rationnellement les moyens nouveaux que la science met à la disposition du peuple :imprimerie, journaux, matériels scientifiques, phonographes et radios, cinéma, voyages, culture.
Un organisme national sera constitué pour harmoniser dans tous les domaines la formation scolaire et poste scolaire des enfants du peuple.
Des dispositions particulières seront prises :
a) d'une part pour que les déficients, les instables, les anormaux puissent se développer au maximum sans gêner la formation des normaux (classes spéciales) ;
b) d'autre part pour ramener à une vie humainement et socialement productive les dévoyés et les délinquants que la vie tragique de ces dernières années, la destruction systématique par l'ennemi des familles de militants, l'éloignement prolongé des prisonniers et des déportés ont conduit au bord de l'abîme.
4°) L'enfance doit être profondément intégrée à la vie du peuple.
L'école séparée du peuple est une anomalie qui nuit à la grandeur et à l'unité françaises :
a) l'école doit organiser à même la vie et le travail du peuple.
b) le peuple doit participer au maximum et selon les règles à définir, à la formation physique, intellectuelle et morale de ses enfants.
c) les enfants, à tous les degrés, doivent être mêlé également à la vie, au travail du peuple.
- Participation des enfants aux travaux essentiels, soit dans les entreprises agricoles, artisanales ou industrielles qui leur sont propres, soit dans les entreprises publiques ou privées.
- Colonies d'enfants plus ou moins autonomes.
Organisation en France d'un grand mouvement d'enfance et de jeunesse pour la formation physique, morale et sociale des jeunes générations.
5°) pour éviter toute discussion dangereuse, l'école restera essentiellement laïque, les parents restant libres de donner à leurs enfants la formation confessionnelle de leur choix.
Les délégués du Comité Départemental De Libération, des organisations ouvrières et paysannes, participeront aux travaux des commissions et des congrès qui assureront la renaissance de la France par la formation rationnelle, vivante et active de ses enfants.
En conséquence, nous demandons :
a) que soit organisé à l'échelle départementale une commission d'étude de l'éducation populaire comprenant :
un représentant du préfet ; un représentant de l'inspecteur d'académie ; un représentant des ouvriers ; un représentant des paysans ; de représentants des instituteurs ; un représentant de l'enseignement secondaire ; un représentant de l'enseignement supérieur ; trois membres du Comité de Libération ;
b) que la même commission soit organisée à l'échelle nationale ;
c) qu'à l'occasion des Etats Généraux qui se tiendront le 14 juillet prochain soit convoquée préalablement un Grand Congrès Technique Des Educateurs qui présentera aux Etats Généraux les propositions qu'il jugera utiles.
Nous serions heureux d'être renseignés sur ce qui a été ou sera réalisé dans ce sens pour que nous puissions continuer à animer et à coordonner les efforts pour la formation de la jeunesse française.
L'Éducateur, n° 2, 15 mars 1945