6 Novembre 2019
Le mois de novembre 2019 commémore les trente ans de l'adoption de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) par la France, mais l'exercice de la citoyenneté dès le plus jeune âge n'est pas au cœur des espaces éducatifs.
Faut dire que peu de jeunes connaissent la Convention quant aux adultes...
Enseignante de nombreuses années en pédagogie Freinet, j'ai pu vivre avec les élèves l'exercice de la citoyenneté promue par la CIDE.
Les classes coopératives découlent d'une conception éducative. Celle qui se fonde sur l'apprentissage par tâtonnement expérimental de la liberté, de la responsabilité, des droits et des obligations au sein d'une communauté qui met en œuvre les principes d'entraide, de solidarité, d'autonomie, de coopération tant pour la réalisation des projets communs définis ensemble que pour la réalisation des projets personnels. Elles sont nées de tous les travaux, expériences et volontés diverses de l’Éducation nouvelle.
L'expérience de ces classes témoigne que les jeunes sont des acteurs responsables de leur vie scolaire lorsque le droit et les moyens leur sont donnés. L’école doit être le lieu d'apprentissage des droits de l'homme leur permettant d'y vivre leurs droits d'enfants et de jeunes.
Entre protection et émancipation, toute la part de l’adulte !
La société, par la voix des médias, des politiques voudrait que l’école résolve les problèmes liés à la violence, aux comportements non citoyens, au non respect de l’environnement par des leçons.
Doit-on restreindre l’apprentissage de la citoyenneté à des cours de morale ou de remédiation ?
Une approche globale de la citoyenneté
Prendre en compte la citoyenneté, c’est mettre en cohérence la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et les pratiques éducatives quotidiennes.
Aujourd’hui, en application de la CIDE, l’établissement, la classe et les autres lieux éducatifs et de vie, doivent devenir des lieux de pratiques citoyennes qui permettent à chaque jeune de :
- participer aux décisions collectives en donnant son avis, en défendant son point de vue, en faisant des choix, qu'il s'agisse d'activités, d'organisation (temps ou espace) ou de règlements et règles de vie ;
- s'engager dans des projets collectifs réels, négociés et contractualisés, dans lesquels il doit assumer sa part coopérative ;
- prendre des responsabilités qui marquent son appartenance au groupe et dont il rend compte ;
- s'ouvrir aux autres et coopérer avec eux.
C'est par cette pratique sociale que les jeunes peuvent acquérir, progressivement, l'assurance, la confiance en soi et les compétences, nécessaires pour s'impliquer.
Notre lunette d’éducateur cherche l'image d'un citoyen actif et engagé qui, en coopération avec les autres, pèse sur les décisions qui ordonnent sa vie quotidienne.
Mais la participation des jeunes, comme celle des adultes, ne se décrète pas, elle se construit petit à petit. Elle implique un apprentissage par la pratique.
« On naît citoyen, on devient un citoyen éclairé » disait en 1985 Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Éducation nationale. Oui, on le devient et les finalités et objectifs de l'école deviennent plus clairs : il s'agit de préparer les jeunes à devenir des citoyens autonomes, responsables et solidaires.
La participation démocratique des jeunes aux affaires qui les concernent est une pratique qui devrait être au cœur de tous les temps et de tous les espaces éducatifs.
Le droit de participation est le point d’appui fondamental d’une véritable formation politique, démocratique et institutionnelle à une citoyenneté active et responsable.
Depuis 1989, le Conseil de l'Europe affirme que « le meilleur enseignement de la démocratie est dispensé dans un cadre où la participation est encouragée et les points de vue exprimés ouvertement, où règnent la liberté d’expression des élèves et des enseignants, ainsi que l’équité et la justice »
Cette véritable reconnaissance de la citoyenneté de l’enfant et du jeune s’appuie sur l’article 12 de la CIDE qui stipule que : « Les États parties garantissent à l’enfant[1] qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en compte eu égard à son âge et à son degré de maturité. »
Qui s'articule avec l'article 13 : « 1. L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.»
Ce droit de participation et d'expression peut être décomposé ainsi :
- le droit de s'exprimer, de parler, de donner son avis ;
- le droit d'être écouté, d'être cru ;
- le droit de participer au processus de décision et même de prendre seul des décisions.
- le droit et le devoir de participer à la mise en œuvre des décisions prises.
Développer la participation démocratique dans et hors de l’école
Mettre en place des institutions qui permettent l'exercice d'un droit de participation des enfants et des jeunes aux affaires qui les concerne est donc non seulement un acte légitime pour les éducateurs qui le tentent, mais un devoir éducatif et citoyen pour tous.
La participation démocratique des enfants et des jeunes étant un des droits de la Convention internationale des droits de l'enfant, il est donc nécessaire qu'ils la connaissent pour pouvoir demander son application. Sans cette connaissance, ils sont persuadés que le droit de donner son avis, d’être entendus et associés aux décisions qui les concernent, individuellement ou collectivement dépend de la bonne volonté des adultes.
Mais il est également nécessaire que les adultes connaissent la Convention internationale des droits de l'enfant ainsi que les processus, les démarches et les outils pour instaurer une réelle participation des enfants dans tous les temps et espaces éducatifs.
Or, on peut constater que souvent le droit de participation au processus décisionnel démocratique est ignoré, y compris par des éducateurs et enseignants de mouvements pédagogiques et d’éducation populaire.
Même si les expériences démocratiques dans les communautés d’enfants datent de plus d’un siècle, elles demeurent encore aujourd’hui de l’ordre de l’innovation pour les équipes pédagogiques qui osent s’y engager. C’est pourquoi il est important que ces expériences soient encouragées, soutenues, valorisées, diffusées, car les enjeux dépassent largement l’école. Il s’agit de construire, ensemble, adultes et enfants, une autre société, une autre démocratie, un autre monde, où, chacun aura droit, à égalité, de jouer son rôle dans la recherche de réponses novatrices, alternatives et durables aux questions de société, aux aspirations et aux besoins humains.
La participation concerne tous les adultes partout où ils se trouvent, habitants dans la ville, travailleurs dans les entreprises… et les enfants dans la famille, l'école, les institutions éducatives, les centres de loisirs, etc.
Comment faire pour que les adultes et les enfants puissent être des citoyens à part entière dans les lieux où ils vivent et travaillent ?
La classe coopérative est un ensemble complexe, formé par des activités diversifiées, une organisation originale du temps, de l’espace, des apprentissages et des institutions multiples. Tous ces éléments sont liés et rétroagissent les uns sur les autres. Leur cohérence est une nécessité fondamentale.
Organiser et réussir ensemble des actions importantes est un moyen efficace pour créer un groupe coopératif.
Coopérer pour produire, créer (un texte, une œuvre, un exposé, une création...)
Coopérer pour acquérir des savoir-faire
- des apprentissages personnalisés motivés par des projets (individuels ou collectifs) ;
- la création d’une communauté d’apprentissage : interaction, échanges de savoirs, entraide… la réussite de chacun est l’affaire de tous.
Coopérer pour apprendre ensemble
- organisation du travail s’appuyant sur des situations réelles donnant aux élèves le besoin de travailler ensemble dans un but commun ;
- élaborer et appliquer les règles de vie, partager les responsabilités, résoudre les conflits. Toutes les décisions sont prises ensemble, les droits, les devoirs, les obligations des jeunes et des adultes sont clairement précisés et constituent un contrat de vie commune ;
- proposer et réaliser un projet, proposer et définir des objets d’apprentissage, leur répartition…
- ouvrir la classe sur le monde proche et plus lointain, organiser des partenariats avec les parents, des intervenants extérieurs, favoriser les rencontres.
Coopérer pour communiquer (l’entretien, le journal, la correspondance, les expositions, les conférences et exposés, les blogs).
Coopérer pour s’organiser : les plannings, l’emploi du temps, la gestion des espaces, des ateliers, et des outils, permettre à chacun de disposer de temps et d’espaces personnels pour la réalisation de projets (un texte, une création artistique, une lecture…). Permettre l’articulation du collectif avec le désir individuel.
Coopérer pour construire une culture : accueillir les différentes cultures des membres du groupe classe, les relier à la culture universelle (historique, scientifique et géographique de l’humanité).
Coopérer pour évaluer, s’évaluer : préparer, proposer, s‘entraider, construire, partager…
Il est donc nécessaire d’élaborer un milieu dans lequel chacun peut prendre sa place et agir en prenant en compte :
L’hétérogénéité (niveau, âge, maturité, sociale, culturelle), point d’appui d’une pédagogie interactive et coopérative
Le rôle de l’enseignant : cette « part du maître » qui met en place les situations pédagogiques, autorisent le groupe et l’individu à s’exprimer, créer, tâtonner, proposer, apprendre…
L’organisation de l’espace : favoriser les déplacements et les échanges pour coopérer. Investir et aménager l’espace.
La gestion du temps : délimiter et rythmer le travail personnel et le travail en commun (gestion coopérative)
Le rôle du Conseil (projets, régulation, partage des responsabilités, suivi et respect des décisions, rituels, régularité, place de l’enseignant, l’animation avec le président… )
La classe coopérative est une institution avec ses structures, ses règles, son fonctionnement démocratique. Elle n’est pas figée, elle évolue en fonction des faits observés, des analyses menées par le groupe et les propositions de changement. Le processus créateur est permanent.
Des citoyens coopératifs, solidaires et fraternels
Les activités scolaires d’une classe coopérative structurent en permanence l’idée de coopération en tant que démarche fondamentale et logique de la vie de classe. On peut parler d’éthique coopérative avec :
- la solidarité : la coopération institue une solidarité consciente qui met en jeu la responsabilité de chacun et la volonté de concourir au bien commun « un pour tous, tous pour un et tous pour tous » (devise accrochée dans ma classe). Apprendre à vivre ensemble, c’est coopérer et participer à la réalisation d’objectifs et de projets communs. On peut dire « Co-fabriquer » avec les autres dans la solidarité enseignant et élèves. L’adulte n’est plus l’unique référent (pas besoin de leçons de morale !).
Les échanges coopératifs permettent la prise de conscience des connaissances propres à chacun, mais aussi la capacité d’apport aux autres. Une autre relation s’installe entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, un changement de place de l’acteur principal qu’est le jeune, c’est une perspective qui engage l’élève à être sujet, auteur de cette pratique, dans un positionnement réciproque de demandeur ou d’offreur.
- la fraternité : c’est bien devant la difficulté, lorsqu’il est nécessaire de s’entraider que se créée une fraternité humaine. Reconnaître l’autre comme un autre moi, l’empathie, cela dépasse la simple admission de son existence, c’est apprécier l’existence et la présence des autres à ses côtés, voir ses différences et similitudes, les accepter pour s’enrichir ou se différencier. Accepter l’autre tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit, ne plus en avoir peur pour s’accepter soi-même.
C’est le fruit d’un rêve social pour tenter de construire une société juste et pacifiste.
- la responsabilité : le projet coopératif, est l’objet d’un choix collectif réfléchi et lucide. Citons Freinet
« Nous préparons, non plus de dociles écoliers, mais des hommes qui savent leurs responsabilités, décidés à s’organiser dans le milieu où le sort les a placés, des hommes qui relèvent la tête, regardent en face les choses et les individus, des hommes et des citoyens qui sauront bâtir demain le monde nouveau de liberté, d’efficience et de paix. »
Former un citoyen engagé, apte à s’exprimer, à agir avec les autres et à prendre des responsabilités, au sein des collectivités où il vit, où il travaille.
- un climat de confiance qui assure la sécurité, développe l’estime de soi une attitude de l’enseignant qui encourage et respecte les droits, la dignité, la différence, les capacités de chacun.
Par son organisation démocratique et ses pratiques, la participation permet aux enfants et aux jeunes de s’exprimer librement sur toutes les affaires les concernant, d’exercer un réel pouvoir collectif sur leur vie, de prendre de véritables responsabilités, d’être les acteurs de leurs apprentissages.
Par ses finalités et ses principes, la coopération affirme sa détermination d’impliquer profondément les enfants et les jeunes dans une nouvelle conception de la vie sociale, du rapport au travail et de l’exercice des droits.
La participation et la coopération s’inscrivent donc parfaitement dans le projet de développement d’une citoyenneté, politique et sociale, fondée sur la solidarité.
[1] Dans la CIDE, on est « enfant » jusqu’à 18 ans.