5 Avril 2021
Un appel à vigilance des parents et à soutien des pratiques de libération scolaire de Célestin Freinet en 1935.
Surveillez avant tout la santé et la vie de vos enfants, car d’elles dépendent, quelles que soient par ailleurs les circonstances accessoires, les progrès intellectuels, moraux et scolaires dont vous vous préoccupez à juste titres. Nous disons bien santé et vie pour attirer votre attention sur une conception erronée et souvent courante de la santé. Il ne s’agit pas, sous prétexte de soins, de gaver et suralimenter votre enfant jusqu’à le rendre impotent comme une bête à l’engrais, de lui éviter marches, efforts et travaux. La santé est une harmonie à la conquête difficile ; elle est en danger toutes les fois que vous constatez en vos enfants une altération de ses grandes fonctions vitales, qu’elles soient diminution ou atténuation de ses réactions, ou, au contraire, excitation et déséquilibre.
L’École s’en soucie fort peu, direz-vous.
– Exigez de l’air, de la lumière, de la propreté en classe ; faites désaffecter les vieux locaux sombres et exigus ; exigez la construction d’écoles spacieuses et claires.
– Protestez contre le surmenage des éducateurs débordés par une surcharge scandaleuse des classes ; protestez contre les habitudes d’une administration qui parque les enfants pendant six heures par jour, entre des bancs incommodes, véritables instruments de torture ; soutenez les tentatives de libération scolaire dont nous nous vous parlerons. – A vos enfants exténués par les efforts scolaires, donnez au moins, en dehors des heures obligatoires de travail passif, la possibilité de s’épanouir selon leurs lignes de vie. Six heures par jour – si elles étaient rationnellement employées – seraient largement suffisantes pour les acquisitions indispensables.
Quoi qu’il en soit, pour la besogne de bourrage actuellement poursuivie, les heures de classes suffisent amplement. Élevez-vous donc contre la pratique barbare des devoirs à la maison, et exigez l’organisation collective et sociale des jeux et du travail libre enfantins hors l’école.
– N’oubliez pas, enfin, qu’il n’y a pas de pire handicap pour des enfants que la misère physiologique. En réclamant pour vos salaires, en luttant pour le travail et le pain, vous luttez pour une meilleure éducation de vos enfants ; car un régime qui attente aussi gravement que le régime actuel à votre niveau de vie, atteint encore plus profondément vos enfants dans leurs possibilités éducatives, quelles que soient les apparentes sollicitudes, foncièrement hypocrites, par lesquelles on tente de masquer ce crime social.
Ne séparez donc pas, dans votre lutte quotidienne, des revendications qui sont aussi intimement liées : il n’y a pas d’un côté votre vie à vous, votre travail exténuant, votre asservissement et votre misère, et de l’autre la possibilité pour vos enfants de profiter de l’école capitaliste pour s’émanciper et secouer le joug de l’exploitation. Ces deux questions sont intimement, matériellement liées : votre misère, c’est la misère de vos enfants, leur défiance scolaire, leur impuissance devant la vie, un anneau seulement de la chaîne qui vous rive à vos maîtres. Le problème scolaire est avant tout un problème social et un problème politique : chacune de vos victoires sociales, syndicales ou politiques est une victoire pour l’école ; chacune de vos défaites est une accentuation des difficultés de libération scolaire […]
C’est à dessein que le capitalisme s’est obstiné à isoler l’école de la vie et de la lutte ouvrière. Nous venons de vous démontrer l’interdépendance intime de l’une et de l’autre. Problème capital, croyez-le bien, auprès duquel les questions de méthode, de morale ou de faux idéal que le capitalisme place hypocritement au premier plan, ne sont que des accessoires, des moyens pour le grand œuvre qui ne saurait s’accomplir hors de son élément essentiel et vivifiant. Non pas que nous sous-estimions l’importance de ces moyens. Encore une fois nous avons voulu rétablir d’abord une hiérarchie afin que les fumées, de l’esprit qu’on agite romantiquement devant vos yeux ne vous empêchent point de voir se lever à l’horizon le grand soleil libérateur.
Célestin Freinet, 10 mars 1935
Extrait du « Deuxième discours à des Parents sur l’Éducation nouvelle prolétarienne »