Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Catchabrun.over-blog.com

Education, droits de l'enfant, écologie, société...

Le texte libre doit être vraiment libre

Il semblera que nous émettions là une évidence superflue. C'est que la tradition scolastique est si tenace, elle a si définitivement marqué la majorité des maîtres, qu'on veut bien, si les officiels le recommandent, laisser écrire des textes libres... mais vous comprenez, il faut bien orienter, les enfants vers les sujets à examiner ou à développer... Nous n'allons pas leur laisser écrire n'importe quoi...  

Alors, on demande aux enfants d'écrire, à l'heure dite, un texte libre. C'est-à-dire qu'au lieu de leur donner le sujet de la rédaction, on leur laisse le choix de ce sujet. Cet exercice devrait plutôt s'appeler : rédaction à sujet libre. 

Si, à ce moment-là, l'enfant n'a pas envie d'écrire, il devra écrire tout de même ; s'il n'a pas dans la tête un sujet passionnant, il faudra qu'il le trouve.

 On comprend bien qu'une telle technique de travail, si elle est en progrès sur la pratique traditionnelle de la rédaction imposée, n'apportera que très exceptionnellement les avantages que nous reconnaîtrons au texte libre : spontanéité, vie, liaison intime et permanente avec le milieu, expression profonde de l'enfant.

Un texte libre doit être vraiment libre. C'est-à-dire qu'on l'écrit lorsqu'on a quelque chose à dire, lorsqu'on éprouve le besoin d'exprimer, par la plume et le dessin, ce qui bouillonne en nous. L'enfant écrira son texte spontané sur un coin de la table le soir, sur ses genoux en écoutant parler la grand'mère qui ressuscite pour lui les histoires du temps passé, sur le cartable avant d'entrer en classe, et aussi, naturellement, pendant les heures de travail libre que nous réserverons dans notre emploi du temps. 

Alors, nous aurons la certitude que les textes obtenus seront ceux qui ont le plus agité les enfants, qui les ont intéressés le plus profondément, ceux donc qui auront la plus éminente vertu pédagogique. 

Je préfère, lorsqu'il n'y a pas une moisson suffisante de textes - et cela est tout à fait exceptionnel - rédiger en commun une page qui sera soit un agglomérat de nouvelles à l'intention de nos correspondants, soit des bribes de textes puisés dans les écrits antérieurs, soit un morceau nouveau créé de toutes pièces avec la collaboration de tous. 

Mais alors diront les non initiés nous aurons rarement un choix suffisant de textes, car nos élèves n'aiment pas travailler quand on ne les oblige pas. - Et puis, ce seront toujours les mêmes qui feront les textes, ce qui n'est pas une solution. 

Le texte libre doit être motivé

 Ces objections sont naturelles et justes quand on considère l'École traditionnelle, où l'enfant travaille le moins possible. Il faut justement que nous changions totalement et les mobiles et les conditions même de ce travail et que nous parvenions à ce résultat qui est commun dans toutes les classes travaillant à l'imprimerie : l'enfant, éprouve le besoin d'écrire, de s'exprimer, comme, étant jeune, il éprouve sans cesse le besoin de parler. Le problème pour nous ne sera plus : comment arranger notre pédagogie pour que l'enfant soit obligé, bon gré mal gré, de rédiger – mais : Comment tirer parti du besoin nouveau de travail des enfants, comment entretenir la flamme et la mobiliser pour des fins éducatives. 

Si on néglige ces motivations, on court à de graves désillusions dans la pratique du texte libre. 

Le texte libre enfin doit être exploité pédagogiquement mais sans dogmatisme scolastique 

Il ne suffit pas de lire les textes libres d'une classe, d'en choisir un qui sera mis au net, qu'on lira et qu'on copiera pour passer ensuite à des activités traditionnelles sans rapports avec la flamme un instant allumée. Nous agirions alors aussi inconsidérément que le locataire qui allumerait pendant une heure son bel éclairage électrique - juste le temps d'en apprécier lies bienfaits - et qui l'éteindrait ensuite pour allumer les vieilles lampes à pétrole, sous le prétexte qu'on en a mieux l'habitude, que ces lampes resteraient inutilisées, et que la nouveauté nuit à l'intimité de la famille. On aurait jeté un éclair, qui n'est pas sans valeur, certes, mais qu'il faudrait tâcher de transformer en clarté permanente susceptible d'éclairer tout notre système éducatif.

Le texte libre

 Il est, dans toutes découvertes, des surprises qui étonnent les inventeurs eux-mêmes : la masse se saisit parfois d'un aspect imprévu de ces découvertes et pousse à fond dans une direction qui risque de n'être pas tout à fait celle prévue par les initiateurs. 

Telle est l'aventure du Texte Libre, qui aurait tendance à se détacher de l'ensemble harmonieux de nos techniques pour devenir un des aspects essentiels de l'officialisation des techniques Freinet et de la CEL (Coopérative de l’Enseignement Laïc). 

Nous avons garde, certes, de nous opposer à une telle montée d'une pratique dont nous redirons les avantages ; nous n'essayerons pas davantage de la codifier puisqu'elle va vers la vie, et que la vie est essentiellement mouvante, dynamique, variable selon les milieux, selon les enfants, selon les éducateurs et, que rien ne lui est plus mortel que la scolastique dont nous ne cessons de dénoncer les méfaits. […]

L'officialisation du Texte Libre dans l'École française est la première grande victoire de nos techniques. Elle est le premier, pas vars la généralisation de cette modernisation de l'École dont l'urgence crève les yeux, mais qui attendait les ouvriers audacieux et décidés qui, à même leur classe, pratiquement, sont en train de faire passer dans la réalité quotidienne les rêves ancestraux des pédagogues.

Célestin Freinet, Brochures d’Éducation Nouvelle Populaire n°25, 1947

Le texte intégral : https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/11154

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :