Le 10 avril 2017
Le mouvement Freinet depuis ses débuts a toujours articulé l’engagement social et éducatif. En effet, la volonté de mettre en place une pédagogie émancipatrice, avec des réalisations, des expérimentations n’avait de sens que dans la lutte contre les inégalités d’accès aux connaissances et à la culture que subissaient les enfants du peuple en lien avec l’avènement d’une autre société. Pour ce faire, donner dès l’enfance le pouvoir de penser, de comprendre le monde à chaque individu… pour pouvoir agir sur lui une fois adulte.
Le contexte économique et politique qui accompagne le développement du mouvement Freinet : la montée du chômage et avec lui la misère, les luttes de la classe ouvrière et le Front populaire, la montée du fascisme et les menaces de guerre, le Conseil national de la résistance...
L’harmonie entre les transformations pédagogiques et ce qui entoure l’école, ce qui se passe dans la société, ce qui ébranle le monde est permanente.
Et aujourd’hui ?
L’école est de plus en plus inégalitaire, non seulement elle reproduit les inégalités sociales en son sein, mais elle les développe. Excellente pour les bons élèves, inefficace pour un quart d’entre eux et tout juste moyenne pour les autres.
Ces résultats sont corrélés aux origines sociales des enfants et de jeunes. Plus l’origine sociale est élevée plus les résultats scolaires sont bons, meilleur est le choix des bonnes filières qui débouchent sur des études longues et plus l’insertion professionnelle est satisfaisante… à l’autre extrémité les résultats sont très faibles, les orientations dans des filières sont imposées, les études sont courtes – s’ils ne décrochent pas – et au bout de la scolarité des emplois précaires et le chômage pour beaucoup.
Comme la méritocratie est toujours au cœur du système, il ne se remet pas en cause, il rend responsable l’enfant, le jeune et sa famille.
Aujourd’hui, l’accès aux connaissances et à la culture reste réservé aux enfants et aux jeunes des couches sociales les plus favorisées. Il se fait le plus souvent à l’extérieur de l’école par ou avec les familles. L’école ne compense guère…
De plus se développe pour les familles populaires la non-compréhension de l’attente du système éducatif qui reste dans l’implicite aussi bien dans la classe, que dans l’établissement – ces fameuses « clés » !
La volonté de mettre en place une pédagogie émancipatrice pour viser une autre société demeure, même si parfois les techniques l’emportent sur les principes philosophiques et politiques qui les portent.
Le contexte économique et politique actuel : le démontage des acquis sociaux, le développement du chômage et de la misère, le repli sur soi et le rejet du politique, la montée des nationalismes, les menaces du terrorisme, le dérèglement climatique et ses catastrophes « naturelles », les guerres exportées, le retour du religieux…
Un contexte encore plus sombre que celui des années 1938/39 !
L’harmonie entre sa pratique professionnelle, ce qui entoure l’école, ce qui se passe dans la société, dans le monde est plus difficilement réalisée dans le mouvement Freinet.
Et de plus en plus l’enfant, le jeune arrivent à l’école avec des bagages parfois très lourds de difficultés sociales. De nombreux quartiers souvent excentrés subissent de plein fouet la crise économique, sans oublier les zones rurales ou rurbaines…
Il est plus rare aujourd'hui de trouver des enseignants investis sur le territoire de leur école, surtout en zone urbaine. Souvent ils résident loin ou ne partagent pas forcément les espaces de vie de leurs élèves… la distance se creuse entre ce qu’ils vivent et ce que vivent leurs élèves. Les nouveaux enseignants sont maintenant très diplômés et de moins en moins issus des couches sociales populaires, ce qui rend certains d’entre-eux moins perméables aux difficultés sociales que rencontrent leurs élèves.
Leur engagement social peut se faire dans les syndicats, mais il n’est pas toujours en harmonie avec les pratiques des militants pédagogiques. Comme regrettait Freinet dans les années 20, on voit des syndicalistes révolutionnaires, mais beaucoup moins d’instituteurs révolutionnaires.
Avec tous ces constats, je suis un peu inquiète sur l’avenir de l’engagement politique du mouvement Freinet.
Bien sûr cet été, le congrès de l'ICEM a pour thème « La pédagogie Freinet : un chemin vers l’émancipation » ; les échanges et les débats montreront l'engagement pédagogique et politique de nombreux praticiens Freinet.
Mais tout au long de l’année que porte le mouvement Freinet ? La cohérence entre ses principes pédagogiques et son engagement social est-elle visible, qu’en montre-t-il, qu’en dit-il ?
Les écoles privées en plein développement se revendiquent de l'Éducation nouvelle, et bien sûr de la pédagogie Freinet. Mais elles n'en prennent que les techniques et jettent la dimension sociale et populaire. Freinet craignait cette situation, en citant entre autres Montessori... et il ne s'est pas trompé.
Si le mouvement Freinet assume pleinement son engagement politique, il sera plus difficilement récupérable dans tous ces projets de structures privées.
La situation politique que risque de vivre la France ces prochains mois aiguisera-t-elle l’engagement politique du mouvement Freinet ?
Mais je préfèrerais qu’il se fasse sans catastrophe électorale !
Bien sûr, comme de nombreux militants, je continuerai à articuler engagement pédagogique et politique partout où je peux, que ce soit en écrivant ou en intervenant, mais j’aimerais que ce soit le mouvement Freinet qui s'en empare !