11 Avril 2019
Les pédagogies nouvelles seraient responsables des mauvais résultats de la France dans les différentes études internationales. Il faut donc revenir aux fondamentaux censés être oubliés : « lire, écrire, compter et respecter autrui ».
Un prétexte pour imposer des méthodes qui satisfont les neurosciences et élimine les sciences de l'éducation.
Un prétexte pour transformer l'enseignant expérimentateur, créateur et concepteur en technicien exécutant.
Un prétexte pour transformer l'enfant acteur voire auteur en élève exécutant.
Un prétexte pour trier, ségréguer les élèves dans certains établissements.
Un prétexte pour imposer un Conseil supérieur de l'éducation national (CSEN) et invalider le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO).
Bref une idéologie qui prétexte la « justice sociale » pour libéraliser le système éducatif.
Les différentes mesures déjà mises en œuvre par décret, circulaires, directives, guides... sont intégrées dans le projet de loi « L'école de la confiance » que présente Jean-Michel Blanquer devant les parlementaires. Il faut bien laisser une trace historique à la suite des lois de ces prédécesseurs !
Mais il faut être réaliste, les pédagogies nouvelles ne peuvent être responsables de ce qui ne fonctionne pas dans l’École publique (elles y sont si peu répandues, 10 % en étant optimiste). Regroupées en pédagogies dites alternatives, elles sont récupérées par des écoles privées qui utilisent leur « bonne réputation » pour vendre des heures scolaires aux familles démunies par l'échec scolaire de leur enfant mais non démunie de moyens financiers.
Comme les pédagogies nouvelles émergent pour offrir des alternatives à ce qui ne fonctionne pas dans un système éducatif, elles ont certainement beaucoup d'avenir ! Il est donc essentiel de connaître leur histoire pour leur donner toute leur actualité.
Un court historique…
1. Avant la Révolution française
Pour l’enseignement élémentaire
« Lire, écrire et compter » relève longtemps de l’initiative privée. Les familles les plus fortunées engagent un précepteur qui instruit voire même éduque leurs enfants.
Tant au Moyen Âge que pendant la Renaissance, l'enseignement se fait en latin. À partir de 1530, quelques professeurs donnent néanmoins leur enseignement en français à la fondation du Collège Royal (le futur Collège de France).
L’institut des Frères des Écoles chrétiennes, fondé en 1680 par saint Jean-Baptiste de La Salle est centré sur l'enseignement et la formation des jeunes, en particulier les plus défavorisés. À la veille de la Révolution, il y a en France 930 frères répartis en 128 établissements qui donnent l'instruction à 35 700 élèves.
Louis XIV, en lutte pour éliminer le protestantisme de son royaume s’intéresse à l’enseignement élémentaire. En 1698, il ordonne à chaque communauté villageoise d’ouvrir une école dont le maître sera un prêtre catholique ou une personne choisie par le prêtre. Ces écoles paroissiales sont financées par les familles et ce sont surtout les garçons qui en bénéficient. L’ordre est renouvelé par Louis XV en 1724.
Cependant, le taux d’alphabétisation reste faible. À la veille de la révolution de 1789, seuls 47% des hommes et 27% des femmes savent signer le registre des mariages. Dans la France du nord, 90% des communes ont des écoles. Dans la France du sud, ce chiffre est de 50%. Elles ne fonctionnent souvent qu’une partie de l’année.
Quant à l’enseignement secondaire, son but principal est d’assurer la formation intellectuelle des cadres civils, militaires et religieux nécessaires au fonctionnement du pays. Avant la révolution de 1789, l’enseignement secondaire est donné dans des collèges tenus par les Jésuites qui dispensent leur formation à la jeunesse aisée (uniquement les garçons), les filles, elles vont au couvent en attendant le mariage. Dans ces établissements, elles doivent recevoir une bonne éducation, car c’est la mère qui doit enseigner la religion aux enfants, cette éducation est la première raison de l’apprentissage de la lecture à la femme.
2. La Révolution française
L'éducation devient un enjeu important dès les débuts de la Révolution française.
Les principaux enjeux :
- donner une culture à l'ensemble des citoyens qui, une fois éclairés, ne tomberont pas dans le piège de la surexploitation du système de production ou du culte ;
- légitimer et d'assurer la survie du nouveau système politique français qui émerge : la démocratie.
Le corps des instituteurs est formé par la loi du 12 décembre 1792 qui a comme objectif d'ouvrir l'enseignement primaire à tous, comme le confirme la création d’un ministère de l'Instruction publique.
Mais la mise à l’écart des congrégations religieuses désorganise le réseau scolaire existant sans parvenir à lui en substituer un nouveau.
Les pouvoirs publics envisagent l'organisation d'un enseignement d'État, mais supprime l'obligation d'éducation. En février 1795, sont créés des établissements publics entre l’enseignement primaire et l’enseignement supérieur avec un lycée par département, d’où leur nom d'« école centrale ».
3. De Napoléon à Jules Ferry
À son arrivée au pouvoir, Napoléon Bonaparte constate la désorganisation de l'enseignement primaire et rétablit les écoles religieuses.
Sous le Consulat, en 1802, sont fondés les premiers lycées. Conçu comme établissement d’excellence pour former les futures élites de la nation, le lycée doit devenir un modèle pour les autres établissements proposant des études du même ordre.
Les différents ordres d'enseignement sont alors : les facultés, les lycées, les collèges, les institutions, les pensionnats et les écoles primaires.
Le décret du 15 août 1808 sur l'éducation prévoit notamment que les écoles doivent désormais suivre les principes de l’Église catholique et charge les Frères des écoles chrétiennes de l’enseignement primaire et de la formation des instituteurs. Mais les ouvertures d'écoles sont si lentes (peu de maîtres formés en nombre suffisant) qu'elles laissent la place au fort développement de l'école mutuelle.
L’enseignement mutuel
Le principe de l'enseignement mutuel consiste « dans la réciprocité de l'enseignement entre les écoliers, le plus capable servant de maître à celui qui l'est le moins » (Joseph Hamel, L'enseignement mutuel, 1818).
Des moniteurs répercutent la leçon à leurs pairs, il suffit donc d’un seul maître pour des centaines d’élèves… L'école ne s'ouvre à tout le monde qu'à 10 heures. De 8 à 10 heures, c’est la classe pour les moniteurs.
En 1830, plus de 2 000 écoles mutuelles existent, principalement dans les villes, en concurrence avec les écoles confessionnelles.
Le système séduit les philanthropes, mais inquiète l’église qui y voit une pédagogie subversive. Ainsi l’école mutuelle disparaîtra du paysage… et surtout des mémoires !
La loi Guizot
François Guizot (1787- 1874) joue un rôle important dans l'histoire de l'école en France, en tant que ministre de l'Instruction publique en 1830, puis en 1832-34. Pour lui, « l’instruction primaire universelle [est] une des garanties de l’ordre et de la stabilité sociale »
La Loi Guizot, 28 juin 1833, organise l'enseignement primaire autour de deux principes :
- la liberté de l'enseignement primaire : tout individu âgé de dix-huit ans peut exercer librement la profession d'instituteur primaire, à condition d'obtenir un brevet de capacité délivré à l'issue d'un examen et de présenter un certificat de moralité ;
- chaque département doit entretenir une école normale d'instituteurs pour la formation des maîtres et chaque commune de plus de 300 habitants est tenue d'entretenir une école primaire et un instituteur ; la commune peut satisfaire à ses obligations en subventionnant une école primaire confessionnelle établie sur son territoire.
Qu'elle soit privée ou publique, l'instruction primaire élémentaire comprend nécessairement « l'instruction morale et religieuse, la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures » (extrait de l’article 1er).
Une timide notion de laïcité est introduite à l'article 2 : la participation à l'instruction religieuse est laissée à la responsabilité du père de famille. La loi crée un corps d'inspecteurs chargé de veiller à sa bonne application.
A partir de 1850, la méthode des Frères des écoles chrétiennes (la leçon n'est pas donnée individuellement, mais à toute la classe) se développe. L’enseignement simultané supplante définitivement l’enseignement individuel et l’enseignement mutuel et devient le modèle officiel des établissements religieux comme ceux de la République.
La loi Falloux
Alfred de Falloux (1811-1886) est ministre de l’instruction publique en 1848.
La loi Falloux du 15 mars 1850 est surtout connue par ses dispositions sur la liberté d’enseignement laissant une place importante à l’enseignement confessionnel.
Elle complète celle de Guizot, elle rend obligatoire une école de garçons dans toutes les communes de 500 habitants et la création d'une école de filles dans toutes les communes de 800 habitants.
C’est une loi qui permet aux congrégations catholiques d'ouvrir en toute liberté un établissement secondaire avec les enseignants de leur choix. De plus, elle soumet les établissements publics et les instituteurs au contrôle des autorités administratives et « morales », autrement dit religieuses.
L’enseignement simultané
A partir de 1850, l’enseignement simultané (classes de niveaux, codification des règles d’apprentissage et de vie…) supplante définitivement l’enseignement individuel et l’enseignement mutuel. Il devient le modèle officiel des établissements religieux comme pour ceux de la future République.
Les pédagogies nouvelles émergeront au fur et à mesure que l’enseignement simultané se met en place : là où l’on commence à regrouper les enfants par niveaux, où l’on segmente les savoirs avec des progressions délimitées par année avec des évaluations régulières…
Pour l’enseignement de la lecture, de l’écriture et du calcul, la seconde moitié du 19e siècle voit une véritable révolution. Par exemple, pour la lecture on passe de l’épellation, à la phonétique et à la syllabique, aux mots simples. Les livres de lecture courante évoluent avec surtout des textes moralisants. Les textes « édifient » l’adulte dans l’enfant.
4. La fin du 19e siècle
Les années 1880 sont marquées par des changements fondamentaux dans le système éducatif français, changements essentiellement portés, du moins au début, par Jules Ferry et son principal conseiller Ferdinand Buisson.
La loi du 16 juin 1881, portée par le ministre de l'Instruction publique Jules Ferry rend l'enseignement primaire public et gratuit, ce qui permet ensuite de rendre l'instruction primaire pour les 6 -13 ans obligatoire par la loi du 28 mars 1882. Elle impose également un enseignement laïc dans les établissements publics.
Même si la loi instaure un enseignement obligatoire, les enfants peuvent toutefois quitter l'école avant 13 ans s'ils ont obtenu le certificat d'études primaires.
Ces lois répondent à des aspirations qui n’ont cessé de se développer tout au long du XIXe siècle, mais leur application rencontre l’opposition de nombreux patrons et parfois des familles : la main d’œuvre enfantine permet le profit des uns et la survie des autres. Si l’école laïque est l’arme du régime républicain contre ses adversaires, elle est aussi perçue dans le prolétariat comme un moyen d’empêcher le développement des idées révolutionnaires, en inculquant aux enfants les valeurs de la classe bourgeoise dominante.
La laïcité, proclamée dès 1881 avec la suppression de l'éducation religieuse dans l'enseignement public, est renforcée par la loi Goblet (1886) qui interdit aux religieux d'enseigner dans le public. La laïcité ne fut toutefois pas appliquée à l'Alsace et la Moselle, annexées en 1871 à l'empire allemand.
Les Instructions officielles de 1890 développent une philosophie de pédagogie nouvelle. L’exercice de l’ancienne recule, elle mise trop sur la mémoire et n’exerce pas assez l’intelligence.
Ferdinand Buisson (1841-1932)
De 1879 à 1896, Ferdinand Buisson est directeur de l’enseignement primaire sous Jules Ferry. Il est partisan d’une république plus sociale et soutient les innovations pédagogiques et les syndicats enseignants.
Co-fondateur de la Ligue des droits de l’homme et prix Nobel de la paix en 1927, il dirige la publication du Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire (1878-1887) qui sera coordonné par James Guillaume.
Ce Dictionnaire de pédagogie est en quelque sorte le porte-voix de la réforme scolaire de la IIIe République. C’est un outil mis en place pour soutenir l’inculcation des valeurs républicaines auprès de la nouvelle génération. Il devient la référence constante et le guide des instituteurs et reste le témoin des savoirs de son temps – un savoir qui se voulait universel et mis à la portée de tous.
Il y a aussi les Musées pédagogiques qui comprennent : « d'une part, une bibliothèque d'ouvrages d'éducation, de législation et d'administration scolaires, ainsi que d'ouvrages classiques proprement dits ; d'autre part, des collections de matériel d'enseignement et de mobilier scolaire ».
5. Une éducation porteuse de paix
Au lendemain de la première guerre mondiale, dans une Europe traumatisée, des pédagogues pensent qu'un monde sans violence est possible. En France, en Autriche, au Royaume-Uni, en Pologne, en URSS, en Italie… des personnalités comme Maria Montessori, Célestin Freinet, Ovide Decroly ou Alexander Neill vont profondément changer la pensée de l’éducation, en plaçant l’enfant au cœur de l’enseignement. À contre-courant des sociétés blessées et sclérosées qui sont les leurs, ils tentent, par tous les moyens, d’inventer une autre école, humaniste et progressiste. Ils pensent qu’un monde sans violence est possible.
On retrouve chez tous ce postulat irréductible : L’engagement de l’élève comme sujet. Mais également qu’instituer l’élève n’abolit pas l’enfant, que l’enfant est un sujet qui ne peut être absent de l’école pour qu’elle fonctionne mieux !
En 1921, le pédagogue Suisse Adolphe Ferrière réunit ces pédagogues au sein d’un mouvement : la Ligue Internationale de l’Éducation Nouvelle, créée sur le modèle de la Société des Nations.
L’éducation nouvelle peut prendre son essor !
2. Présentation de quelques-uns de ces pédagogues
Mais ils ne partaient pas de rien…
Jean-Jacques Rousseau, 1712-1778
Pour lui, l’éducation doit être au service de l’Homme lui-même, sans idée préconçue et attentive au potentiel de chacun. Car l’Homme est naturellement bon, et c’est donc en prenant pour modèle l’enfant, dans un environnement au plus proche de la nature, qu’on peut espérer en faire un adulte libre et responsable. L’enjeu de l’éducation est alors de préserver l’enfant de l’influence de la société et de l’éveiller progressivement à sa propre liberté.
Johann Heinrich Pestalozzi, 1746-1827
« Comment enseigner à des enfants, à des élèves qui ne veulent pas de nous ? ».
La volonté de Pestalozzi est d’enseigner à ceux qui ne veulent pas apprendre ou à ceux qui sont rejetés (comme les gitans), enseigner aussi à ceux qui rejettent l’école. Il est imprégné des idées des Lumières et de L’Émile de Rousseau
En 1798, après le saccage de l’armée qui laisse des enfants blessés, malades, rachitiques et apeurés, Pestalozzi fonde à Stans un orphelinat. Il y installe la confiance et l’accompagnement pour permettre aux enfants de retrouver leur dignité. C’est une pédagogie du cœur fondée sur l’amour et la confiance, l’éducation mutuelle, la solidarité et l’entraide.
De 1804 à 1824 à Yverdon, Pestalozzi fonde un institut pour les jeunes gens, un pour les jeunes filles, un pour les sourds-muets et un pour les enfants pauvres.
Joseph Jacotot, 1770-1840
Il se propose d’« émanciper les intelligences », il prétend en effet que tout homme, tout enfant est en état de s’instruire seul et sans maître. Il suffit d’apprendre une chose dans son intégralité et de manière intensive et d’y rapporter tout le reste. Le rôle du maître doit alors, se borner à diriger ou à soutenir l’attention de l’élève.
Quelques-uns de ces pédagogues qui ont parcouru le 20e siècle
Paul Robin, 1837-1912 (France)
Inspecteur de l’enseignement primaire sous Ferdinand Buisson, Paul Robin accepte la direction de l’orphelinat de Cempuis de 1880 à 1894, il mène une expérience sur l’absence d’instruction religieuse et la coéducation des sexes.
L’enfant est d’abord un apprenti sociologue, puis petit biologiste, chimiste, physicien, astronome et mathématicien. L’enfant connaît les qualités avant les quantités, les êtres avant les choses, et les choses avant les relations.
C’est une véritable république d’enfants fondée sur la solidarité, la fraternité et l’égalité.
Ses trois principes :
- ne pas spécialiser trot tôt ;
- lutter contre toutes les emprises qui peuvent s’exercer sur la conscience ;
- s’occuper de l’intellect, mais aussi du corps.
Militant féministe, la mixité qu’il prône est tabou à cette époque. Une cavale se déchaîne contre lui, il est démis de ses fonctions lors d’un Conseil des ministres.
Pauline Kergomard, 1838 -1925 (France)
Pauline Kergomard est née à Bordeaux, son père est inspecteur de l’instruction publique.
En 1861, elle s’installe à paris comme institutrice. Ferdinand Buisson lui donne la charge de direction des « salles d’asile » pour les très jeunes enfants qu’elle compare à des petites casernes.
En 1881, elle crée alors « l’école maternelle » qui pour elle est une école de la République. Elle relève de la logique familiale, elle socialise et permet le vivre ensemble. C’est un lieu d’apprentissage.
Pauline Kergomard est très attentive à l’hygiène, à la nourriture, aurythme veille/sommeil et aux activités permettant le développement de l’enfant.
Ovide Decroly 1871-1932 (Belgique)
Ovide Decroly est un médecin belge spécialiste du traitement de l’enfant. En 1921, il ouvre sa maison familiale aux enfants dits « anormaux » qu’il appelle « irréguliers », car il n’aime pas l’expression « anormal ». Il veut ainsi, pouvoir observer les enfants dans leur vie quotidienne.
A partir de 1907, avec la création de l'École de l’Hermitage, il élargit son action vers les enfants dits « normaux ». Il part de ce que tous les enfants savent faire : l’observation et des besoins de l’enfant (alimentation, protection, défense, travail) qui structurent des centres d’intérêts.
Il rejette le principe qui consiste à aller du plus simple au complexe.
Plus de manuels, mais des livres de vie, une ouverture sur la nature, une éducation morale : « au bien, au bon, au beau ».
« L’expression artistique, pleinement valorisée, tremplin de cette affectivité, trouve son sens dans le fait d’aider l’enfant à s’adapter et, surtout, à améliorer son milieu. Par sa nature même, grâce à ses forces évolutives, constructives, l’enfant s’efforcera d’atteindre son plein développement »
Depuis 1945, une école publique et un collège existe en France à Saint-Mandé près de Paris.
Maria Montessori 1870-1952 (Italie)
Première femme médecin en Italie, Maria Montessori rencontre au quotidien des enfants en difficulté.
Le 6 janvier 1907, elle met en place la première « Casa dei Bambini » pour prendre en charge des enfants de trois à six ans, non scolarisés et laisser à eux-mêmes dans une banlieue très défavorisée de Rome. Elle va faire de cette « Maison des Enfants » un véritable laboratoire de recherche pédagogique.
Sa première découverte c’est l’attention avec la rencontre d’un très jeune enfant concentré sur une tâche (remplir et vider des cylindres). Elle constate que l’enfant peut, veut apprendre en se concentrant sur les objets que le monde lui apporte, une façon d’absorber le monde, de se construire (intelligence et personnalité).
Elle va donc offrir un cadre sécurisant pour faire la paix avec soi-même, se concentrer avec un mobilier scolaire à la taille de l’enfant, et des outils spécifiques pour qu’ils puissent faire seuls. Une éducation des sens, avec un matériel complexe : tactile, visuel et sonore.
Maria Montessori prône un enseignant organisateur, médiateur, il n’est plus le transmetteur qu’elle critique dans la pédagogie traditionnelle. Il est là pour aider l’enfant à progresser et pour qu’il donne le meilleur de lui-même.
Maria Montessori se rapproche de Mussolini qui lui confie des écoles publiques ainsi que la formation des enseignants. Mais à partir de 1936, le gouvernement italien veut imposer l'uniforme fasciste dans les écoles Montessori. Elle s'y refuse, du coup ses principes pédagogiques sont interdits et ses écoles sont fermées. Elle s'enfuira en Espagne, puis en Hollande après 1936. En 1946, elle retourne en Italie qui la réhabilite, mais elle préfère résider aux Pays-Bas où elle décèdera en 1952 à 81 ans.
Aujourd’hui, de nombreuses écoles privées utilisent sa méthode en Italie, en Suisse et en France (plusieurs en région parisienne). Elles sont très onéreuses et donc de fait réservées aux enfants de familles favorisées.
Janusz Korczak, 1878-1942 (Pologne)
Dès la première guerre mondiale, Janusz Korczak, d’abord pédiatre met en place des orphelinats (« Notre maison », « la maison de l’orphelin ») pour les enfants juifs en difficulté et pour les enfants des rues. Ce sont des enfants difficiles, parfois violents.
Il lui faut endiguer cette violence, il a une idée de génie : prévenir par écrit avant l’action, c’est la « boîte aux lettres ». Elle permet de remettre à plus tard une décision : « Écris-le-moi et nous verrons. »
« Il est souvent plus facile d'écrire quelque chose que de le dire. Quel est l'éducateur qui n'a jamais reçu un de ces gribouillis remplis de questions, de prières, de plaintes, d'excuses ou de confidences. »
Il met en place des institutions : une gazette, le Conseil, le Parlement (organe suprême avec 20 députés élus par les enfants), le Tribunal (un instrument judiciaire).
Il a laissé comme héritage le respect de l’enfant, le respect de l’humain dans l’enfant, la dignité de tous (handicapés, délinquants, pauvres…), l’exigence les droits de l’enfant, avec comme droit fondamental l’expression.
Janusz Korczak reste en mémoire pour son héroïsme avec les orphelins du ghetto de Varsovie qu’il n’a pas voulu abandonner. Il fut déporté et exterminé avec tous les enfants en 1942.
Roger Cousinet, 1881-1973 (France)
Inspecteur de l’instruction publique, Roger Cousinet est une sorte de révolutionnaire qui subvertit sa fonction : il autorise les élèves et le maître. Comme tous les inspecteurs à l’époque, il a été instituteur.
Il fonde la revue L’Éducateur moderne et l’école nouvelle « La prairie » à Toulouse et l’école de « La Source » à Meudon. Il prône une méthode de travail libre par groupe qui se fonde sur la vie sociale naturelle des enfants : ils peuvent choisir entre différentes activités préparées pour eux et s'organiser en groupe pour les réaliser. Ces activités sont réparties en :
- « activités de création » : travail manuel (artisanat, jardinage, élevage) ou création spirituelle (dessin, peinture, musique, composition libre, poésie) ; l'arithmétique est introduite à ce niveau comme mesure de l'action.
- « activités de connaissance » : à propos des animaux, des plantes, des minéraux, de phénomènes physiques ou chimiques, de l'histoire et de la géographie.
La part du maître : instituer les règles, renseigner, préparer le matériel, corriger… la salle de classe devient une salle de travail. Les fichiers, la bibliothèque de documentation sont des outils fondamentaux.
La structure prend le pas sur le maître. C’est la logique de l’apprentissage et non celle du programme.
Alexander Neill, 1883-1973 (Écosse)
Pédagogue britannique libertaire, Alexander Neill est le fondateur de la célèbre école de Summerhill. Il souhaite dégager les enfants des contraintes, sinon celle de la liberté.
Il croit en la bonté innée de l’enfant qui doit donc être éloigné des brutalités adultes. Sa joie de vivre, son insouciance, ses pulsions et ses désirs ne doivent en rien être brimés. À Summerhill, les élèves peuvent faire tout ce que bon leur semble, sous les seules limites de ne pas se mettre en péril physique. Il y a peu d’enfants.
Il vise l’égalité de tous, le « self-government » avec des Assemblées générales.
Elle existe aujourd’hui encore.
Anton Makarenko, 1888-1939 (Russie)
1920, après la Russie tsariste, c’est la guerre civile. Des hordes d’enfants abandonnés vont être regroupées dans des colonies. L’une d’elles est confiée à Anton Makarenko, c’est la colonie Gorki. Il y crée ce qu’il appelle des détachements (groupes) avec différentes tâches confiées (agricoles, artisanales, culturelles…).
Le principe : tout le monde doit passer dans toutes les tâches, les chefs tournent dans chaque détachement. Quand il y a une infraction, comme un vol, pas d’exclusion, mais une quarantaine. Pendant ce temps l’enfant cherchera toujours à reprendre sa place, à exécuter une tâche, en fait à réintégrer le groupe.
C’est une éducation collective et une production sociale directe avec articulation entre le travail physique et intellectuel. Éduquer, c’est insérer dans la société, elle se fait lentement, émotions collectives, destins communs, en travaillant pour le bien-être de la collectivité : responsabilités partagées dans un groupe ; la sanction est contre un geste et non contre une personne ; soigner le milieu, faire qu’un collectif permette à chacun de trouver sa place.
Célestin Freinet, 1896-1966 (France)
Célestin Freinet s’est inspiré de toute l’aventure pédagogique de l’éducation nouvelle.
Il expérimente et théorise dans le cadre des classes ordinaires de l’enseignement public et fonde un mouvement pédagogique pour les enfants du peuple, son projet c’est l’école populaire.
Il fonde une coopérative d’éducateurs et ne perd jamais de vue que la libération de l’enfant n’est que l’un des aspects de la libération humaine.
Ses deux principaux questionnements :
Quelles transformations, est-il possible de faire subir au milieu : locaux, matériel et techniques, pour réaliser les rêves généreux des pédagogues ?
Quelles sont les bases matérielles, les normes de travail qui assurent la libération des enfants et qui au lieu de tuer l’esprit exalteront les possibilités vitales, artistiques et sociales des jeunes ?
Puis en 1947, Célestin Freinet crée l’Institut Coopératif de l’École moderne, l’ICEM qui est toujours actif en 2018.
Carl Rogers, 1902-1987 (USA)
« On n’apprend bien que par soi-même »
Carl Rogers est un psychologue humaniste nord-américain. Il a principalement œuvré dans les champs de la psychologie clinique, de la relation d'aide et de l'éducation. Sa méthode, l'approche centrée sur la personne, met l'accent sur la qualité de la relation entre le thérapeute et le patient (écoute empathique, authenticité et non-jugement).
Carl Rogers pense que l’éducation a pour fonction de développer la créativité inhérente en chaque personne, et que certaines institutions lorsqu’elles sont trop rigides, brident ou annihilent.
Carl Rogers veut que l’élève découvre par lui-même, développe son esprit d’investigation, sa curiosité, et ne soit pas soumis à un enseignement magistral qu’il subirait passivement. Les seules connaissances utiles sont celles qui modifient le comportement de la personne, et il est nécessaire que celle-ci les découvre elle-même et les fasse siennes. Il reproche aux éducateurs de son temps de vouloir contraindre les enfants à effectuer des efforts, sans se préoccuper de ses intérêts, des capacités qui sont en lui et de l’esprit d’initiative dont il est capable.
Fernand Oury, 1920- 1998 (France)
« Suis-je condamné à fabriquer en série des citoyens, des producteurs dociles sachant lire des textes choisis par d'autres, écrivant sous la dictée et qui comptent l'argent des autres ? »
Fernand Oury est le fondateur de la pédagogie institutionnelle, il en pose les fondements dans les années 50 où il est instituteur dans des classes de plus de 40 élèves. Il refuse « l’ école caserne » qui ne regarde pas l’enfant et qui cherche plus sa docilité que sa participation au processus d’apprentissage. Sa rencontre avec Célestin Freinet est importante, il s’intéresse à sa pédagogie qui répond à ses questionnements, mais comment faire en milieu urbain dans des classes surchargées ? Il expérimente hors de l’école, dans des colonies de vacances et dans un institut médico-éducatif à Herbault où il met en place le conseil et les ceintures de comportement en s’inspirant du judo. C’est au congrès du mouvement Freinet à Paris en 1958 que la « pédagogie institutionnelle » est clairement nommée.
Fernand Oury met en place sa « théorie du trépied » : le premier pied met en place les techniques Freinet qui favorise la production (le texte libre, le journal scolaire, la correspondance, le travail individualisé… ) ; le deuxième s’occupe de la dynamique de groupe et y observe l’enfant ; le troisième prend en compte la psychanalyse et le mouvement de la psychothérapie institutionnelle (J. Oury et F. Tosquelles).
La Seconde guerre mondiale se profile…
Vingt ans après les espérances du retour de la paix après la Première Guerre mondiale, la montée des totalitarismes vient faire échouer les alliances et sceller les destins individuels : le rêve s’écroule, à l’orée d’une nouvelle guerre.
… retour à la paix
Ce retour est marqué par les avancées et les espoirs de sécurité sociale pour tous les travailleurs que porte le programme du Conseil national de la Résistance.
À la Libération, le gouvernement provisoire décide de rétablir la gratuité de l'enseignement secondaire et institue une commission de réflexion sur l'éducation. Le rapport Langevin-Wallon qui en est issu propose de nombreuses mesures de modernisation de l'enseignement, pour faire face à la massification de l'enseignement qui se profile. Il propose de démocratiser l'enseignement en allongeant la scolarité à 18 ans, en généralisant les expériences des mouvements de l'Éducation nouvelle et en élaborant une école unique. Ce projet sera abandonné faute de moyens et en raison de divergences politiques mais il sera source d'inspiration pour de nombreuses réformes scolaires par la suite.
Le combat pour le progrès humain, porté intimement par des hommes et des femmes hors du commun, s’est construit puis brisé sur les idéologies du XXe siècle. Cette utopie, pour un temps réalisée aura pourtant contribué à façonner de manière décisive les théories et les pratiques éducatives.
Parce que l’éducation reste au cœur de tout projet social et politique, leur histoire résonne plus que jamais aujourd'hui, entre les murs de nos écoles.
Depuis 1882…
Une forme scolaire guère changée…
En effet, jusqu'en 1960 – voire plus... –, les écoles primaires sont entourées de hauts murs, avec sur leur fronton la devise « liberté, égalité, fraternité », une cour agrémentée de platanes, filles et garçons sont séparés, les salles sont équipées de pupitres, de tableaux noirs et de cartes murales. Un cahier unique et une ardoise, une plume métallique, des blouses pour tous aux couleurs sombres… Le passage du Certificat d’études en fin de primaire (à 11 ou 13 ans). L’année commence le 1er octobre et se termine le 14 juillet (vendanges et récoltes). La journée scolaire dure 6 heures (3 le matin et 3 l’après-midi) avec depuis 1866 des récréations. La semaine est de cinq jours avec le jeudi réservé au catéchisme…
Les principales évolutions
La mixité, d’ailleurs une mixité de fait, mais pas de fond (un autre sujet).
La taille des écoles augmente avec la fermeture des petites écoles et une concentration dans les villes.
L’arrivée du collège unique fait que la scolarisation d’une grande partie des enfants ne se termine plus à l’école primaire. Mais la massification se réalise dans une forme scolaire collée sur celle du lycée et qui prolonge avec encore plus de force les difficultés scolaires de l’école primaire pour une grande partie des enfants.
La prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans
De moins en moins de mixité sociale avec des territoires homogènes socialement
Une politique d’éducation prioritaire se met en place pour compenser les inégalités sur le territoire, mais ne permet pas la mixité sociale et scolaire.
La généralisation de la semaine de quatre jours avec 6 heures de classe.
L'instruction obligatoire à partir de trois ans (peu de changement pour les écoles publiques), mais favorise les écoles maternelles privées qui ne recevaient pas de participation financière des collectivités territoriales.
Le projet d'établissements des savoirs fondamentaux qui rend possible le regroupement des classes d'une ou plusieurs écoles primaires au sein d'un collège local et changerait la fonction de directeurs d'école.
En ce début du 21e siècle
Les pédagogies nouvelles, même si elles suscitent de l’intérêt chez certains professionnels de l’éducation, restent dans les marges du système éducatif français.
Les mouvements pédagogiques issus de l’Éducation nouvelle et présents dans l’enseignement public comme (l’ICEM-pédagogie Freinet, le GFEN, l’AFL, l’OCCE, les CEMEA, etc .) telle la « mouche du coche » interpellent, critiquent, titillent le ministère lorsqu’il propose une nouvelle loi, des nouveaux programmes…, mais ils savent également butiner et faire leur miel des différents textes votés lorsque certaines des préconisations leur permettent d’asseoir leurs pratiques pédagogiques à l’école.
Le butinage, c’est aussi ce qu’ont fait certains ministères. Mais ce miel tiré des pédagogies nouvelles reste le plus souvent dans les textes, dans les préconisations. Et lorsqu’elles arrivent dans les classes, elles sont le plus souvent réduites à des techniques isolées hors d’un système et d’une cohérence pédagogique globale. Même si – et tant mieux – on voit dans des classes des enfants travailler sur des projets avec une prise en compte de leurs intérêts, on voit des enfants en activité, en débat, travailler en groupe, sortir pour faire des enquêtes, etc.
Il faut dire que pour beaucoup de nos concitoyens et concitoyennes, l’épanouissement individuel, l’entre soi sont préférés à la vie coopérative et à la mutualisation des savoirs que préconisent les pédagogies nouvelles
Surtout, ne pas toucher à ce qui fonctionne bien pour les élites, pour les enfants des classes supérieures, voire moyennes… Certains parents proclament le « vivre ensemble », mais ne souhaitent pas le « scolariser ensemble ». Ils théorisent sur la mixité sociale, mais ne la souhaitent pas pour leurs « héritiers ».
Certains mouvements pédagogiques ont choisi d’exister au sein de l’école publique sans éviter les milieux populaires (l’ICEM, le GFEN, l’AFL, l’OCCE, les CEMEA, etc.) Ce sont des mouvements populaires.
D’autres préfèrent les écoles privées, souvent hors contrat (Écoles Montessori, écoles dynamiques, démocratiques, écoles Steiner…) qui fleurissent aujourd’hui, mais ne touchent guère les milieux populaires.
Une question reste toujours posée pour les pédagogues du 21e siècle : « Doit-on et peut-on travailler pour la transformation de l’école à l’intérieur du système étatique, pour montrer son inefficacité, et y introduire des changements essentiels ou doit-on encourager la création d’écoles nouvelles pour devenir des modèles à suivre et à répandre ? »
Comme les pédagogues du début du 20e siècle, conservons le rêve, l’utopie, l’indignation des pédagogues de l’Éducation nouvelle.