2 Septembre 2018
Monsieur le Ministre,
Vous vous félicitez du développement des classes de CP à 12, vous avez raison. Mais une année et ensuite se retrouver dans une classe à 25 ou plus peut dérouter les élèves plus fragiles. Sans oublier que le plus souvent, elles sont mises en place au détriment des effectifs des autres niveaux.
Je vous propose donc une autre possibilité.
Au lieu de faire des classes de CP à 12 élèves et des classes de CE1 à 12 élèves en REP+, réunissez-les CP et les CE1 dans une seule classe, une alchimie pédagogique se produira renforcée avec le maître supplémentaire que vous pourrez ainsi nommer.
Deux ans pour apprendre « à lire, à écrire, à compter », comprendre le monde et assurer la suite du chemin scolaire, n’est-ce pas ce que vous souhaitez ?
Ce qui permettra aussi de dépasser les seules REP ou REP+ et d'en faire profiter tous les enfants.
Pour argumenter cette proposition, rien ne vaut l’expérience d’une pratique pédagogique sur un certain temps… Je vous livre la mienne.
Après deux années en CP, j’ai eu la chance de pouvoir enseigner dans une classe de CP/CE1 pendant six ans. Ce fut un choix volontaire partagé avec mes collègues. Ce qui a permis de respecter l’hétérogénéité (niveau et comportement), la mixité sociale et le même effectif que les classes à niveau simple.
J’ai vite compris les avantages pour eux et pour moi.
1. Le nombre réduit d’élèves
Pour le CP, c’est beaucoup plus confortable avec 12 élèves pour :
- les découvertes collectives que ce soit en français ou en mathématiques : travail sur les textes, lettre des correspondants, repérage de ce qu’on sait, découvertes de mots de syllabes, de son, mise en commun des recherches sur les nombres, résolution de problèmes, figures géométriques, découverte des opérations….
- la production individuelle de texte
- les apprentissages graphiques personnalisés
- les entraînements et ses corrections
- le soutien personnalisé
- les différentes manipulations et l’utilisation de matériel
- les expérimentations mathématiques, scientifiques…
- la recherche d’un document, d’une ressource
- etc.
Pour le CE1, on retrouve bien sûr les mêmes avantages quantitatifs en adaptant ce qui est spécifique à leur programme.
2. L’enseignant n’est plus seul
Le fait que les deux niveaux soient dans la même classe entraîne des possibilités insoupçonnées si on ne le pratique pas.
Pendant le travail personnel (écriture de textes, entraînement, recherche documentaire, mise au propre d’un travail…), les enfants s’entraident, le CE1 explique à un CP ou l’aide à écrire son texte, un CE1 aide un autre CE1 à résoudre un problème ou à construire une figure, le CP travaille avec un CE1 pour préparer un exposé, dans les situations d’entraide « celui qui ne sait pas » fait un pas dans le savoir, « celui qui sait » – ou croit savoir – confirme ou pas sa connaissance.
Pendant ce temps de travail actif, l’enseignant peut prendre du temps avec un seul enfant pour une notion difficile, ou avec un groupe qui a besoin d’un soutien spécifique ou tout simplement pour participer à une recherche…
Les enfants rapides consolident leurs acquis en aidant les autres, les plus lents ont le temps de cheminer…
Des outils accompagnent cet apprentissage de l’autonomie : plan de travail collectif ou/et individuel, planning et emploi du temps.
Et le collectif n’est jamais absent !
Les mises en commun qui suivent ces moments de travail individuel profitent aux CP comme aux CE1… Révisions pour les uns, ouvertures vers d’autres connaissances pour les autres, chacun y trouve son compte !
3. Un climat de classe apaisé
Le climat se transforme, car il n’y a plus de concurrence, de compétition, les effets de la coopération s’installent. L’erreur devient un moment naturel de l’apprentissage, un changement de statut qui redonne confiance en soi.
L’entraide, le non-jugement et l’encouragement permettent de reconstruire la confiance dans les autres, dont l’adulte.
Des moments de parole (entretien du matin, présentations) permettent à l’expression individuelle de se développer et de s’améliorer.
Des moments d’ajustement (Conseils et bilans) construisent le groupe, on projette, on régule, on propose pour assurer le meilleur fonctionnement possible : un exercice de la citoyenneté au quotidien.
4. Le programme largement étudié
Tous les fondamentaux sont au cœur des apprentissages individuels et collectifs.
Le « lire, écrire, compter » et surtout tous ceux qui permettent la compréhension du monde, sa complexité et tissent les savoirs, qu’ils soient historiques, géographiques, écologiques, sociologiques, économiques, juridiques, démocratiques…
5. Le temps d’apprendre
Une année est souvent insuffisante pour apprendre à lire, à compter, à écrire, à donner du sens aux notions étudiées, car ce qui s’est passé en amont du CP dans et hors l’école est si différent d’un enfant à l’autre…
Il faudrait que fin juin, tout soit acquis pour rejoindre en septembre un CE1. Impossible pour un certain nombre d’enfants qui décrocheront petit à petit…
Dans un CP/CE1, l’enfant a deux ans. En septembre, il reprend le chemin de ses apprentissages. Il est en confiance, il sait où il en est, l’enseignant aussi. Ce sera à son tour d’accueillir les nouveaux CP et de les aider. Une valorisation de ce qu’il est et un encouragement à progresser.
J’ai tellement apprécié ce temps retrouvé avec les enfants qu’ensuite j’ai récidivé en CM1/CM2…
Monsieur le Ministre
Les classes multi-niveaux, multi-âges… sont très appréciées par les enseignants Freinet et ce n’est guère étonnant.
Donner du temps, respecter les chemins singuliers de l’apprentissage, permettre à tous de progresser, donner la parole aux enfants pour qu’ils participent à l’organisation du travail, de la vie collective, accueillir les projets, articuler la vie, l’environnement et l’école… sont bien au cœur de la pédagogie Freinet.
Le mouvement Freinet a de l’expérience, il peut en faire profiter les enseignants que ce soit en formation initiale ou continue !
Monsieur le Ministre, n’hésitez pas, venez visiter nos classes !